SAMEDI 23 JUIN
Je me réveille à 8h30, frais comme un gardon, preuve que, malgré les idées reçues, ne pas trop picoler en festival est très efficace pour être en forme ! Je fais ma toilette et enfile mes chaussettes de combat en prévision de ce samedi qui risque de s’avérer chargé. En regardant le programme, je suis excité comme une puce mais un peu désemparé aussi : tellement de choix difficiles à faire, et impossible de tout voir… De mémoire de hellfestos aguerri, j’ai rarement autant souhaité avoir le don d’ubiquité pour pouvoir être sous toutes les scènes en même temps. Malheureusement je ne suis qu’un homme, et en plus de ça un beauf assumé, donc je sais déjà que vous allez juger les choix que j’ai fait, mais je ne regrette rien car ce samedi fut merveilleux.
Demonstrating my soja style
Ma journée commence véritablement à 14h20, tapage de report pour Grabuge oblige (de rien), et je fonce d’emblée voir Rise of The Northstar, pour prendre mon fix matinal de two step débile, avec supplément shonen. Comme pour leurs comparses hardcoreux de Converge, le son n’est malheureusement pas au rendez-vous et je peine à reconnaître les morceaux… Ils jouent leurs gros tubes en fin de set, déjà trop tard pour moi puisque je me suis barré prématurément afin d’être au cœur de la violence pour Turnstile, le groupe que j’attends le plus de la journée.
Leur hardcore décomplexé, fun et bigrement affriolant me fait vite revoir mon opinion sur le pavage de la Warzone : il s’avère au final qu’on y pogote très bien si l’humeur y est. Je transforme toutes les fibres emmagasinées depuis jeudi (merci Sojasun) en énergie pure et projette joyeusement mon corps sur celui d’autres humains. Pendant ce temps, le chanteur de Turnstile tournicote dans tous les sens, se propulse dans le public ou escalade des échafaudages sans se soucier du qu’en dira-t-on. Je pense avoir cassé les côtes de 89 personnes pendant Real Thing, mais je suis sûr que personne ne m’en veut. Si vous en avez l’occasion, faites vous cette faveur : allez voir Turnstile en concert.
Grosse D4RKA
Vidé par cette séance de kung fu improvisée, je rampe vers l’ombre de la Valley où Ho99o9 commence tout juste à diffuser son ambiance malsaine à souhait. Encore une très bonne découverte, surtout que je me retrouve pris dans un de ces champs de bataille qui s’organisent parfois loin de la scène par des énervés n’ayant pas pu accéder aux premiers rangs. En ces lieux, la violence est plus contrôlée, mais aussi plus intense, et j’assassine cinq personnes pour boire leur sang et offrir leurs viscères aux Grands Anciens. Enfin pas loin, c’est juste pour vous dire que j’ai eu mal.
Je m’offre une mini pause : recharge d’argent sur mon bracelet cashless, engloutissement d’un hot dog, pipi à l’urinoir de la Warzone, caca au VIP, et zou ! J’en profite aussi pour recouvrir intégralement mon corps d’eau, car je n’ai pas mis de crème solaire depuis le début du festival et le soleil constant m’a rôti le pif et les bras. À l’heure où j’écris ces lignes, ma peau est boursouflée de chaleur et je ne suis que douleur, car je suis très stupide. Sortez couverts.
J’ai juste le temps de voir la moitié finale du set de Heilung, qui a transformé la scène Temple en subjuguante messe païenne. Devant la grande prêtresse et ses bois d’élan blancs, des guerriers nordiques aux corps recouverts de salissures noirs arborent des boucliers en bois et des lances, scandant des chants tribaux tout droit sortis d’âges oubliés. Le spectacle est sublime et donne envie de retourner à l’état sauvage, loin de la folie des hommes et plus près du soja.
Changement d’ambiance avec Dälek, grosse référence du hip-hop alternatif qui officie sous la Valley. Ça fait du bien de s’éloigner un moment des omniprésentes doubles pédales et autres rugissements maléfiques, mais ma beauferie innée reprend vite le dessus et je ne peux pas résister à l’envie d’aller voir Pleymo qui joue en même temps sur la mainstage.
Baggy Style
“Tata ou, tata ou” ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, le show des nu-métalleux français tient carrément la route en 2018. Les tubes les plus violents fonctionnent à merveille et le public s’enjaille comme en pleine époque anorak. J’ai juste des frissons de malaise quand Kemar bafouille entre les morceaux, se rappelant des souvenirs de coupe du monde 98 et de vieilles charrues, ou demandant encore si “tout le monde est là“. Mais ces épisodes de cringecore ne sauraient m’empêcher d’écrire noir sur blanc une phrase que j’aurais cru improbable auparavant : Pleymo a fait un excellent concert au Hellfest.
Malgré une pause de presque une heure, je commence à perdre ma concentration devant Body Count : même le charisme viril d’Ice T n’empêche pas mon cerveau de vagabonder. “Va dormir“, me répète-t-il, “Arrête tout et allonge-toi dans l’herbe comme un gros sale, t’en as rien à foutre…” Je délaisse donc les mainstage pour un aller-retour au camping qui me semble durer une éternité. Je n’ai plus envie de marcher, plus envie de voir des gens habillés en noir, j’ai mal au dos, aux pieds et au nez brûlé, j’ai envie de rentrer chez moi… Comble du désespoir, je m’aperçois en arrivant à ma tente que je n’ai que 10 minutes pour me détendre si je ne veux pas rater Deftones, un des meilleurs groupes de l’histoire de l’humanité. MARRE !
Puis un miracle se produit. À l’instant où les premières notes de Deftones résonnent, j’oublie ma douleur, mon envie de vivre est décuplée et je me noie dans les chefs d’œuvres des génies américains. Chino Moreno (frontman de la formation) est très en forme et la setlist impeccable, ce qui me procure assez d’adrénaline et d’endorphine pour oublier tous mes maux pour le restant de la soirée.
Comme dans un rêve mouillé d’adolescent de 1999, Deftones cède sa place sur les mainstages à Limp Bizkit. Leur setlist est composée à 50% de morceaux de Chocolate Starfish and the Hotdog Flavored Water, 5% de Significant Other et 45% de reprises ou de samples de tubes (Purple Rain, Smell Like Teen Spirit, Song 2, Jump Around, même la putain de Marseillaise…). Le coup de la grande kermesse rock est rigolo un moment, surtout avec le guitariste Wes Borland qui se fait visiblement plaisir et avec DJ Lethal aux platines, mais boudiou de nom de nom, ça leur arracherait la gueule de jouer des trucs du 1er album à la place, par exemple ? Ma théorie : Fred Durst (leader du groupe) a sans doute la flemme de réapprendre à jouer ses propres morceaux. Et c’est un giga connard. Mais un giga connard bien plus en forme et communicatif que lors de sa dernière venue au Hellfest, qui nous gratifie même de quelques piques humoristiques bien senties, comme lorsqu’il annonce “Here is a song from our coming album” avant de jouer un vieux classique. Autre bonne plaisanterie de Fredo, après avoir repris à l’identique Killing In The Name il déclare l’avoir joué pour faire chier le bassiste de Rage Against The Machine, qui lui aurait expressément interdit de l’interpréter à nouveau sur scène. Quel adorable giga connard.
No sleep till camping
Je termine une journée déjà bien éprouvante physiquement sous la warzone en compagnie d’Hatebreed. Leur set aussi gras que du jambon 100% couenne au beurre est ridiculement efficace et je me retrouve à putriner encore comme un amibe en pleine mitose, malgré mon âge vénérable et l’heure tardive. La fin de leurs hostilités signe aussi la fin de cette journée fort bien remplie, une de celles qu’on souhaitera ardemment pouvoir revivre en s’en remémorant lors de nos vieux jours.
Bien trop heureux et pas assez saoul, je vais deviser avec mes voisins de camping, qui ont tous vus d’excellents groupes que j’ai ratés. La qualité de ce samedi a peut-être battu des records internationaux. Je mets ensuite 10 minutes à m’endormir contre les 0,5 secondes habituelles, ce qui me laisse le temps de compulser le programme qui m’attend dimanche. Loin au-dessus de tous les autres groupes, j’en attends un seul avec impatience : les mythiques Iron Maiden. Vivement demain, que les choses sérieuses commencent !