DIMANCHE 24 JUIN
Après un samedi ultra chargé, je me fais la promesse de me ménager afin d’être au top de mon game pour Iron Maiden. L’idée est aussi de prendre mon temps et de savourer soigneusement mes derniers instants au Hellfest avant l’année prochaine. J’entame donc la journée en allant flâner à l’Extrême Market, les deux mains dans le dos et les yeux mi-clos, comme un petit vieux dans un parc. Je n’y ai jamais rien acheté, mais j’adore en arpenter les allées. C’est fascinant tout ce qu’on peut trouver dans les échoppes de ces jeunes gens : de quoi s’habiller, se laver, jouer, se tatouer, redécorer ses murs, donner des rêves érotiques ou des cauchemars, voire des cauchemars érotiques… Quel merveilleux endroit.
Bukkacrème
Je passe ensuite à l’espace presse pour faire le bilan sur mes aventures de la veille, et en sors juste à temps pour aller voir The Bronx. Leur prestation est mucho caliente, mais pas autant que ma peau qui commence à fumer sous le soleil de plomb. Je prends la sage décision de me réfugier à l’ombre de la Valley, où une âme charitable me laisse emprunter sa crème solaire en attendant que Nebula commence. Je laisse le stoner groovy en diable du trio me rouler dessus pendant un temps, mais une nouvelle déconvenue me force à quitter le concert précipitamment : à cause de la fatigue accumulée depuis 3 jours et de ma stupidité peu commune, j’ai réussi à me bukkakéifier les yeux avec la crème indice 50, ce qui me fera pleurer non stop pendant 4h… J’assume les conséquences de cet échec en me retirant un temps de la vie musicale et vais m’assoupir au camping tel un gros loutreau échoué. Mieux vaut me reposer un peu pour arrêter de faire de la merde ou de me balader sur le site comme un zombie.
J’émerge de ma sieste à temps pour ne pas rater Zeal and Ardor, dont je ne connais pas un seul morceau mais que mes collègues de YCKM m’ont fortement conseillé. Leur mélange de blues afro-américain et de black metal est surprenamment efficace et les nombreux samples de bruits de chaînes utilisés évoquent inévitablement l’esclavagisme, un terreau idéal pour cracher sa haine à pleins poumons.
La technique de l’espadon
Je sors de la Valley requinqué mais fais l’impasse sur Batushka et Baroness et profite du temps qu’il me reste avant Iron Maiden pour prendre quelques godets de l’amitié. Après tout, le Hellfest est aussi un moment privilégié pour se réunir entre copains éloignés par les aléas de la vie. Ce gros chillage de 2h me rappelle que faire des pauses entre les concerts est indispensable pour apprécier le festival comme il se doit, et je réalise aussi par la même occasion l’incroyable qualité de la programmation de cette treizième édition, qui offre très peu de répit au mélomane averti.
Mes réjouissances houblonnées ne peuvent hélas pas durer éternellement, et je les délaisse pour aller voir Iron Maiden, monstres sacrés du heavy metal et principale tête d’affiche de cette année. En arrivant devant la mainstage où ils se produisent, je constate vite que trouver une bonne place va être compliqué : la foule est plus compactée que la bite de Bruce Dickinson dans son falzar en cuir. Je dois recourir à ma botte secrète afin d’avoir vue sur le concert : la technique dite de “l’espadon”. Elle consiste à traverser d’abord la foule latéralement pour se retrouver tout à droite, puis se faufiler vers l’avant de la scène en restant toujours bien à droite, avant de bifurquer à 90 degrés pour se ramener le plus possible vers le centre. D’ordinaire cette stratégie fait des miracles, mais ce soir tout le monde essaie de faire pareil et je me retrouve juste au niveau des chiottes, bien avancé mais complètement sur le côté. J’aurais sans doute dû tenter un “double croate” ou une “figue du Dr Muniak”… Je peux quand même apercevoir un bout de scène, et rien qu’avec ça Maiden m’en met plein les mirettes (assez pour chasser ce qu’il restait de crème solaire de mes pupilles). Le groupe légendaire fait dans la générosité, l’épique absolu et leurs hymnes en or massif sont repris à l’unisson par des milliers de festivaliers. Par dessus tout, il y a une honnêteté artistique dans ce groupe qui touche profondément et donne l’envie d’avoir envie. C’est pur, c’est beau. Le show sera aussi visuel avec un combat à l’épée contre un Eddie géant, un énorme avion survolant la scène et des mises en ambiance dignes de Broadway, comme lorsque Bruce Dickinson revient grimé en fossoyeur à lanterne pour interpréter à la perfection Fear of The Dark. Je m’arrête là mais je pourrais écrire un livre entier sur ce concert tellement il était magique du début à la fin…
Macho Manowar
Après Iron Maiden, un trou dans la programmation de 23h30 à 23h50 me laisse penser qu’on aura droit à un petit feu d’artifice de derrière les fagots, mais SURPRISE, les écrans Mainstage teasent à la place la programmation du Hellfest 2019 avec de courtes vidéos présentant les 5 premiers groupes déjà confirmés : Carcass, Mass Hysteria, Dropkick Murphys, Slayer (pour ce qui sera le tout dernier concert en France) et Manowar. Cerise sur le gâteau, Joey DeMaio, bassiste et leader de Manowar, déboule en personne sur scène et harangue la foule : “Hellfest est devenu le meilleur festival de metal au monde ! L’année prochaine, Manowar va venir et la terre s’ouvrira en deux devant notre puissance ! Nous tuerons les familles de nos ennemis, pilleront leurs villages et boirons du sojasun dans leurs crânes ensanglantés !” (traduction approximative)
Ce spectaculaire happening m’évoque les meilleurs moments de catch américain, mais les groupes annoncés me laissent indifférents. Tous sont déjà passés à Clisson lors d’éditions précédentes, et j’aurais préféré voir apparaître des noms comme Metallica, Tool, System of a Down ou Tenacious D. Un jour peut-être… En attendant l’année prochaine, il reste encore deux concerts à savourer ce soir et je compte bien en profiter jusqu’au bout.
Amenra lovely
Amenra a déjà commencé quand je rejoins la Valley, et je me prends subitement 550 tonnes de plomb dans la gueule. La puissance écrasante des belges n’a d’égale que l’intensité émotionnelle qu’ils parviennent à générer. Je m’en gorge les oreilles et l’âme jusqu’aux dernières notes, mais j’en veux encore. Je ne connais pas Carpenter Brut mais décide d’aller les voir en pensant qu’ils s’inspirent certainement des ambiances à la John Carpenter comme leur nom le suggère. Je déchante donc bien vite en découvrant qu’il s’agit d’un artiste electro programmé pour faire danser la plèbe. Ok c’est un peu d4rk, mais pas assez à mon goût : après Amenra et alors que la dernière heure de ce Hellfest sonne, je veux plus d’autodestruction et moins de célébration. Je décide donc en toute logique d’aller faire des esclandres à l’espace VIP.
Refusant que ce festival se termine, je plonge dans l’ivresse nocturne en papotant à droite à gauche avec du beau linge et des inconnus jusqu’à ce que les portes du VIP ferment. J’ai un petit coup dans le nez et un gros pincement au cœur en revenant vers le camping à 5h du matin, car ça sent clairement la fin de festival dans les allées désertes… Mais que vois-je en arrivant au Red Camp ? Un attroupement de jeunes gens qui font des joutes de caddies en beuglant. Je m’arrête donc pour assister à un de ces combats traditionnels du camping du Hellfest, lorsqu’un autre spectateur m’explique la bien belle histoire qui se cache derrière ce combat de caddies : le courageux groupe serait allé au Leclerc voisin pour libérer deux caddies de leurs chaînes, mais se serait fait surprendre par un vigile. Ils auraient alors eu la merveilleuse réaction de scander “Masturbez le vigile ! Masturbez le vigile !” pour le décourager. Celui-ci serait allé chercher le directeur du magasin qui a aussitôt été accueilli par un “Masturbez le directeur ! Masturbez le directeur !”. Et bien évidemment, quand une voiture de police a débarqué à son tour, la joyeuse troupe s’est mise à chanter à qui mieux mieux “Masturbez les forces de l’ordre ! Masturbez les forces de l’ordre !”. Il ne m’a pas raconté la fin de l’histoire, mais cette technique surprenante a dû fonctionner puisque les caddies étaient bien là, libres et défoncés comme leurs nouveaux propriétaires.
Hellfest Blues
Le soleil se lève sur le camping quand j’arrive enfin à ma tente. 2h plus tard, je devrai me réveiller et quitter les lieux jusqu’à l’année prochaine. Je pinaille parfois sur tel ou tel aspect du Hellfest, mais ça reste quand même un festival incroyable qui nous offre chaque année un week-end d’exultation suprême. Ce dimanche, j’avais envie de vivre à tout jamais dans ce déluge incessant de riff et de gouaillerie. Je sais déjà que je vais passer les deux prochains jours à regarder toutes les photos et vidéos du Hellfest que je verrai passer, à consulter des reports et à écouter les groupes qui m’ont marqué. Après un long week-end de Hellfest le retour à la réalité est toujours difficile et mes préoccupations ne seront bientôt plus “Quel groupe vais-je voir ?” “Où se rejoindre avec les potes ?”, “À qui appartient le sang sur ma tente ?” ou “Peut-on mourir d’une overdose de Sojasun ?”. La rigolade est finie et demain les choses sérieuses recommencent…
CAMILLE VERRON