L’une des têtes d’affiche du dernier festival des Utopiales à Nantes, John Scalzi est un écrivain américain de science-fiction très prolifique (une quinzaine de livres publiés en 13 ans). Il est l’auteur de la saga du Vieil Homme et la Guerre (6 livres déjà) et de plusieurs romans indépendants, tous publiés en France par L’Atalante. Son dernier livre, Prise de Tête, disponible depuis fin octobre, est la suite des Enfermés, prix Bob Morane en 2017 et aborde des thématiques chères à son auteur.
John Scalzi a pris l’habitude, depuis ses débuts, d’utiliser la S-F pour d’évoquer la société du futur sous couvert de divertissement haut de gamme. Dans les livres du Vieil Homme et la Guerre, il est question de personnes âgées dont la conscience est transférée dans un corps génétiquement créé pour la guerre. Ces romans s’inscrivent dans l’évidente tradition des histoires de « Space Marines », popularisée, en bonne partie, par Robert Heinlein (Starship Troopers), mais c’est également pour Scalzi l’occasion d’une réflexion assez profonde sur la position sociale des ces nouveaux individus, ainsi qu’une exploration de leur psychés.
Dans l’un de ses romans les plus récents, La Controverse de Zara XXIII, titre français de Fuzzy Nation (traduisible en « Nation Toudou »), Scalzi se permet même une sorte de remake des Animaux Dénaturés, de Vercors, dans un thriller judiciaire réjouissant où une race extraterrestre est décidément trop intelligente pour être considérée comme des animaux. Ce contexte inscrit alors le livre, comme le veut la référence du titre français, dans le sillage de la Controverse de Valladolid, classique de la littérature étudiée par les scolaires, de l’incontournable Jean-Claude Carrière et formidable exemple de réflexion socio-politique accessible au plus grand nombre.
Prise de Tête, son dernier roman en date, est donc la suite des Enfermés et se situe dans le même « univers » narratif. Dans un futur proche, une pandémie mondiale et fulgurante a des conséquences originales : beaucoup meurent de cette sorte de méningite, beaucoup plus en réchappent sans dommage, et un pourcentage assez conséquent se retrouve « enfermé » dans son propre corps. Ceux qu’on appelle les « Hadens », du nom donné à ce syndrome, sont effectivement prisonniers de leur propre corps, parfaitement conscient mais incapable de bouger ou d’interagir avec leur entourage. Des moyens colossaux sont mis en place rapidement pour y remédier, et la solution sera de les faire piloter à distance des robots grâce à des implants cérébraux informatiques, qui leur permettront de reprendre une place dans la société.
Cette exemplaire entrée en matière de socio-fiction permet à son auteur la création d’une nouvelle classe sociétale et des enjeux qui en découlent, à savoir l’établissement progressif des droits et devoirs de ces individus représentant des humains et donc, valant un peu plus que des robots mais pas tout à fait autant que des humains.
L’auteur enrobe tout cela d’un roman policier, où l’on suit l’enquête de deux agents du FBI, l’un humaine et l’autre « Haden », qui sera notre narrateur. La grande trouvaille de l’auteur est justement la création de ce personnage principal, véritable page blanche, dont le genre, l’ethnie, et en somme, l’identité telle qu’on l’imagine le plus souvent, ne sont pas définis précisément. Le lecteur se projette alors littéralement sur ce personnage vierge, dans la plus pure tradition des protagonistes de la littérature d’aventure, qui sont volontiers effacés et/ou stéréotypés pour laisser la place à l’action et à l’identification (de Tintin à Harry Potter). Mais cette virginalité sociale du personnage principal sert ici un propos tout autre et particulièrement actuel, à savoir une évocation de la notion générale d’identité et d’appartenance à tel ou tel groupe. Les Enfermés et Prise de Tête permettent donc d’aborder ces thèmes parfois houleux de manière ludique et apaisée, grâce à la S-F, et à la création d’une classe de personnage tout autre, le tout dans des romans policiers tout à fait divertissants. Et c’est exactement ce que revendique son auteur, qui estime que ce procédé a des résultats passionnants, qui en disent beaucoup sur chaque lecteur et sa manière de voir le monde et les autres, sans pour autant s’appesantir sur le concept. En bref, ce procédé purement littéraire fait de Prise de Tête et des Enfermés de véritables réussites.
John Scalzi ne s’arrêtera pas là car dans le cadre d’un contrat monstre avec son éditeur original, Tor Books, prévoyant 13 nouveaux romans en 10 ans, il nous a annoncé au moins un autre livre dans la saga Les Enfermés, ainsi que dans celle du Vieil Homme et la Guerre, entre autres épisodes d’un space opera pas encore traduit, The Collapsing Empire, et des romans indépendants. Un planning très chargé et qu’il compte bien tenir.
De plus, l’auteur annonce l’adaptation télé ou ciné en cours de pas moins de cinq de ses œuvres. Cela ne veut pas dire qu’elles verront toutes le jour mais bien que ses livres suscitent l’engouement général et l’intérêt d’Hollywood. Ainsi donc, que ce soit déjà le cas ou non, si vous aimez la science-fiction, vous finirez par entendre parler de l’œuvre de John Scalzi. Pourquoi ne pas commencer dès maintenant ?
ALEXIS THEBAUDEAU