La musique a toujours été son leitmotiv et pourtant, Taissa Arruda aura attendu ses 27 ans pour l’envisager comme voie professionnelle. Originaire de Brasília, l’ingénieure du son est installée à Paris depuis une bonne quinzaine d’années et collabore aujourd’hui avec Flavien Berger, Acid Arab, Prudence… des projets dans lesquels elle se retrouve aussi bien artistiquement qu’humainement.
Taissa aime la pop, française et américaine en particulier. Depuis Brasília, où elle a grandi et vécu ses premières années d’études, la musique est la toile de fond de sa vie. Alors qu’elle écoute Camille, Hey Hey My My, Keren Ann ou Stereolab et étudie déjà le français, Taissa quitte finalement ses études en journalisme et à Sciences Po au Brésil pour une licence de cinéma à Paris. Elle y voit l’opportunité d’y suivre de nouvelles études, de voir tous les groupes qu’elle aime et qu’elle n’aurait jamais l’occasion de voir au Brésil.
De la fac de cinéma au Bataclan
Installée dans notre chère capitale, Taissa découvre La Maroquinerie, dans le 20ème arrondissement, et y passe de nombreuses soirées de concerts. Lors de ses études de cinéma, elle s’intéresse de plus en plus au son. Alors, pendant les concerts, elle observe les techniciens et envisage cette voie : « je me suis rendue compte que des gens travaillaient pour le spectacle, des gens de l’ombre. Je n’avais jamais vraiment posé mon attention dessus, je ne le percevais pas comme un métier possible pour moi auparavant ».
Après des années à la fac à chercher sa voie, Taissa la trouve derrière la console durant un stage décisif dans une salle de concert. « Même si j’adorais voir des concerts tous les soirs, je me disais qu’en trois semaines, j’allais me lasser. Finalement, j’étais toujours ébahie, j’adorais le métier et j’ai su que je voulais en faire ma vie ». Très concentrée sur son apprentissage, Taissa est fascinée : « on ne sauve pas des vies, mais on est là pour faire en sorte que les gens passent un bon moment, c’est très agréable comme contexte de travail (rires) ». De fil en aiguille, elle quitte le cinéma pour entamer une formation en son au SAE Institute à Aubervilliers, qu’elle fera avec un contrat en alternance au Bataclan. Elle sera ensuite embauchée à la Flèche d’Or avant d’obtenir son intermittence.
À partir de 2013, Taissa devient indépendante : « Au début, je n’osais pas démarcher les gens, par peur de manquer d’expérience, alors que j’étais clairement prête ! Finalement, c’est un ancien collègue qui m’a contactée pour une tournée, que j’ai directement acceptée. Je sautais sur toutes les opportunités. Avec le temps, on rencontre du monde. Le travail mène au travail ! Si tout se passe bien, il n’y a aucune raison que ça ne fonctionne pas, on pense à toi ! ».
Rencontre avec Flavien Berger
Rapidement, Taissa travaille avec le groupe Apes and Horses pour qui elle avait assuré les retours au Bataclan. « Leur bookeuse m’a contactée pour me proposer de travailler avec Flavien Berger. Seul en scène, il cherchait une personne avec qui travailler de près sur le son. Je l’avais vu en concert une semaine auparavant, c’était son deuxième ! Il était à la fois très libre et vraiment musical. Bien sûr, j’ai accepté ! ».
Nous sommes en 2015, et la technicienne du son commence les tournées et dates auprès d’artistes attitrés, avec Flavien Berger et le groupe rennais The 1969 Club. « Avec Flavien, c’était ma première vraie tournée, et la sienne aussi. C’était cool, parce qu’on commençait ensemble. Ça m’a aussi permis de me faire des contacts ». Dans le spectacle, on le sait, le réseau devient vite indispensable : « je me souviens d’ailleurs d’une conversation que j’avais eue avec ma conseillère Pôle Emploi, quand j’envisageais la musique. Elle m’avait dit : « mais vous savez, c’est vraiment un métier où il faut connaître des gens, ce n’est pas évident, bla bla bla…» mais j’ai quand même tenté, et voilà ! Il s’agit aussi de faire les bonnes rencontres, d’être au bon endroit au bon moment, saisir les opportunités… Comme la vie en général ! Et finalement, aujourd’hui, je travaille avec des artistes que j’adore artistiquement et humainement ».
Des expériences uniques avec Acid Arab et… Jean-Jacques Goldman
Proche des artistes pour lesquels elle travaille, Taissa apprécie les concerts à taille humaine auxquels elle peut apporter sa patte : « Quand j’ai commencé ce métier, j’ai compris que j’avais quelque chose à faire dans le son. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler avec des artistes avec lesquels il y a un vrai échange et de contribuer à leur performance ». Dans cet état d’esprit, l’ingénieure du son est marquée par de jolis souvenirs, tels que le premier Olympia de Flavien Berger qui était « aussi le premier pour une bonne partie de l’équipe » ou le concert d’Acid Arab sur la grande scène du Hall 9 aux Transmusicales : « C’était une date unique avec un set préparé spécialement pour l’occasion. Il y avait des chanteuses touareg, un joueur de oud turc… plusieurs invités. Il devait y avoir 10 000 personnes, je crois que c’était mon plus gros concert ». Avec le groupe, Taissa a aussi fait des tournées en Égypte, au Liban, au Maroc…
Concentrée sur les artistes français ou francophones, elle n’en multiplie pas moins les expériences éclectiques. « Une fois aussi, j’ai fait les retours pour un concert des Restos du Cœur. Il y avait Yannick Noah, Pascal Obispo, Jean-Jacques Goldman… N’étant pas française, je n’avais pas du tout la mesure de leur notoriété. Mais ils étaient très sympas, donc c’était chouette (rires) ».
Entre femmes : « Je prêche pour l’entraide ! »
Dans le son, les femmes se font rares : « Je me fais très rarement accueillir par une femme. On en voit de plus en plus, mais le ratio reste clairement à équilibrer. D’ailleurs, dans ma formation, sur une promo de trente étudiant·es, nous étions deux filles… Un professeur se permettait des blagues limite misogynes puis disait ensuite « Ah, pardon, je ne peux pas dire ça puisqu’il y a des filles dans la classe ! ». Moi, j’avais déjà 27 ans à ce moment-là, donc je trouvais ça plutôt ridicule de la part d’un mec d’une quarantaine d’années, mais je pense que ça peut bloquer des personnes plus jeunes ou qui n’ont pas encore les armes pour réagir ».
Si le chemin à parcourir semble encore long, on remarque des progrès : « Certains artistes ne remarquent même pas qu’il n’y a aucune femme dans leur équipe, d’autres se posent vraiment la question et cherchent à mixer un peu plus. Y a-t-il des choses propres aux hommes ou aux femmes ? Peut-être… mais la diversité ne peut être qu’enrichissante. On me dit souvent que c’est agréable d’être accueilli·e par une femme. On observe moins de guerre d’ego entre femmes, peut-être parce que nous sommes plus rares ! Personnellement, je prêche pour l’entraide ! ».
Au-delà des professionnel·les concerné·es, de nombreuses initiatives voient le jour. « J’ai participé à la soirée du podcast Cherchez la Femme de Flore Benguigui. C’était un plaisir de voir autant de personnes motivées par la curiosité et la création d’un espace de partage. Certaines choses avancent, mais il reste beaucoup à faire. J’espère que d’autres femmes plus jeunes seront inspirées par ces démarches et envisageront de se lancer dans ces métiers ! ».
PORTRAIT RÉALISÉ PAR LOUISE PLESSIER, Tracass Asso et Le Ferrailleur dans le cadre du festival More Women On Stage & Backstage à Nantes, grâce au soutien de M45T, E.leclerc Clisson, Hurricane Music, Filling Distribution, Constant Bourgeois, Mstream et la Ville de Nantes.
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