Infirmière puéricultrice, Camille travaille dans le service de réanimation pédiatrique dans un centre hospitalier en pleine crise du COVID-19. Inquiète quant aux répercussions d’une telle crise sur son corps de métier, elle garde néanmoins le sourire et raconte le quotidien des soignants.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Plutôt bien malgré un temps de formation ce matin qui consistait à nous apprendre à nous habiller et à nous déshabiller avant et après un contact avec un patient infecté par le COVID-19 ou suspecté de l’être. C’était un peu déprimant parce qu’on nous a bien dit qu’on manquait de matériel. La sainte phrase du moment c’est « il faut aller à l’économie ».
Et concrètement, comment « on va à l’économie » ?
En gros, un masque FFP2, il faut le garder 8 heures d’affilées sans y toucher. C’est impossible dans la vraie vie. Déjà, respirer avec ce type de masque, c’est un peu compliqué, alors sans boire, ni manger, ça nécessite un peu d’entraînement…
Comment votre service s’adapte-t-il au quotidien ?
On a tout un protocole à mettre en place avant d’entrer en contact avec un patient COVID-19 : blouse, sur-blouse, tablier plastifié, masque, charlotte, lunettes… Je vous épargne les lavages de mains avant, pendant et après chaque geste, chaque ouverture de porte, etc. Et surtout un protocole après avoir été en contact avec ses patients. Le but est de se déshabiller sans toucher la moindre surface ayant été en contact avec le patient, puis désinfecter le matériel réutilisable.
Ce qui est le plus compliqué à gérer ?
L’attente et l’incertitude. Ce que tout le monde craint, c’est l’arrivée des patients en masse. Ça fait deux semaines qu’on nous dit qu’il va y avoir “un pic”, qu’on va être débordés. D’un côté, c’est un avantage car on a le temps de se préparer, au moins psychologiquement, mais aussi pour avoir le maximum de moyens humains et matériels. Et d’un autre côté, c’est stressant. Chaque jour on attend le compte rendu des dernières réunions avec les infectiologues, on observe les signes qui laisseraient présager l’arrivée des malades, le nombre d’appels à la régulation du SAMU, le nombre de passages aux urgences, le nombre de patients hospitalisés en réa ou dans des services conventionnels. Un jour on se dit qu’on va être épargnés et le lendemain, le contraire.
Quel est le risque pour votre métier ?
Que tous les soignants soient infectés et qu’il n’y ait plus d’infirmiers pour aller bosser. Il va falloir compter sur la dévotion de nos braves concitoyens pour nous sauver… Non, plus sérieusement, ce qui me fait peur pour la suite, ce sont les retombées psychologiques pour les soignants. Burn out, dépressions, stress post traumatique… En Loire Atlantique, on n’est pas encore sérieusement impactés mais dans d’autres régions, devoir « trier » les patients, c’est terrible. En tant que soignants, on ne nous apprend pas à faire ça, ni à constater notre impuissance à faire face. Psychologiquement, c’est désastreux, surtout quand c’est aggravé par le manque de moyens et de matériel… Je pense aussi à mes collègues de psychiatrie, d’EPHAD, de MAS, qui sont les oubliés, et pas seulement de cette crise.
La deuxième chose compliquée à gérer, c’est l’impossibilité d’accompagner les familles dans leur deuil. On a des protocoles très stricts à respecter en cas de dégradation et décès des patients COVID-19, celle entre autre de limiter les visites à une seule personne. Non seulement on a pas assez de temps à consacrer à la famille des malades, mais en plus on la laisse seule. On a l’impression de faire du travail bâclé, c’est déprimant.
Y voyez-vous une opportunité, un côté positif ?
J’ai bon espoir que notre profession soit entendue ! Cela fait plus d’un an que les hôpitaux et tous les soignants sont en grève. On demandait du personnel, du matériel, la base, pas de caprice. Il y a eu beaucoup de démissions de médecins urgentistes. Malgré tout, on a l’impression que le monde découvre qu’on manque de moyens pour le soigner. C’est pourtant très simple : les départs en retraite ne sont pas remplacés, en 2018 il y a eu une suppression massive de lits d’hôpitaux, les restrictions budgétaires se durcissent pendant que la population augmente… Ça sentait la forêt de sapins. Manquait plus qu’un virus pour que ça vire au drame.
Qu’est-ce qui vous met du baume au cœur dans ce quotidien particulier ?
Les applaudissements, même s’ils n’arrivent « que maintenant », moi je les prends. C’est pour toutes les fois où on craque après une journée de treize heures, les fois où on essaye de faire notre travail du mieux possible. Et aussi l’épicerie en bas de chez moi qui me propose de me préparer des paniers de légumes à l’avance pour éviter que je fasse la queue (Myrtille et Olive pour la pub !).
Quelle devrait être la priorité du gouvernement concernant votre métier ?
Nous regarder dans les yeux et nous faire des excuses. On est en train de payer les décisions politiques désastreuses des dernières années. Par exemple, les lits de réanimation et des services conventionnels ont été supprimés au profit de la médecine ambulatoire qui propose des séjours plus courts et un meilleur taux d’occupation. En gros l’hôpital public 2.0 doit être “rentable”et il est dirigé par des gestionnaires qui ne connaissent pas la réalité du terrain.
Le métier que vous n’aimeriez pas faire en ce moment ?
Président de la République et fabricant de masques…
Une anecdote à raconter ?
Pour garder la tête froide et dédramatiser autant que possible, tous les jours, on demande aux collègues : « quelles sont les nouvelles du front ? »… On exagère jamais chez nous…
Un conseil à donner aux gens qui vont lire ce papier ?
Pensez à cette interview quand vous irez voter.
Propos recueillis par Maÿliss Flambard.
Les autres portraits de confinés :
– Alex, exploitant agricole, producteur de légumes
– Pauline, prof de lettres classiques au collège et à la fac