Pauline est en pyjama sur son canapé lorsqu’elle répond aux questions que ses élèves lui posent à distance. Plutôt décontractée, consciente d’être confinée dans un endroit plutôt privilégié, elle fait part de ses inquiétudes concernant l’avenir de ses élèves et sa profession avec humour et décontraction.
Comment ça va, aujourd’hui ?
Il y a pire. Je réponds en ce moment aux élèves qui me questionnent sur les consignes que je leur ai données pour les devoirs à la maison. Et à vrai dire, les réponses à quasiment toutes leurs questions se trouvent déjà dans les consignes. Ou bien dans une réponse donnée à un autre élève dans un commentaire précédent… Pour certains, la question est « J’ai rien compris ».
La communication est -elle parfois compliquée ?
Je passe beaucoup de temps à leur rappeler que, malgré le confinement, ils doivent tout de même respecter quelques règles de base, à commencer par dire « bonjour » et mettre un petit « s’il vous plait » quelque part dans leur phrase. Nos messages ressemblent à des publications Facebook et les élèves commentent comme ils ont l’habitude de le faire, c’est-à-dire sans majuscule ni point d’interrogation.
Comment votre travail quotidien s’organise-t-il ?
Avec mes collègues, on se concerte beaucoup sur Whatsapp pour harmoniser notre fonctionnement et trouver le moyen le plus efficace pour garder le lien avec toutes les familles. Avec notre espace numérique national saturé de connexions, ça n’a pas été simple. On a donc décidé d’envoyer le travail par mail aux parents d’élèves (ce sont les seules adresses mails dont on dispose). Ensuite on met les devoirs en ligne sur Pronote, un logiciel qui nous sert à faire l’appel et notifier les absences en temps normal. Les élèves doivent faire leurs devoirs dans un temps donné avant que les professeurs envoient la correction. Pour les cours à la fac, je fonctionne à peu-près de la même manière.
Le Ministère de l’Éducation Nationale est-il efficace ?
Il est complètement largué ! Selon lui, on aurait limite pu continuer à faire cours en direct, en ligne avec des plateformes vidéos… qui saturent ! Et quand bien même, il semble oublier que certaines familles ne disposent que d’un seul ordinateur dans leur foyer. Donc quand les parents télé-travaillent, c’est impossible. Jean-Mi, notre cher ministre, n’a pas arrêté de faire des déclarations qui ont été démenties dans les heures suivantes. « Il n’est pas question de fermer les écoles » ou « on est prêt » alors que tous les outils en ligne saturaient dès le lundi. Pour les familles n’ayant pas accès à internet, il leur a été proposé de leur déposer les cours dans des commerces de proximité, en pleine période de confinement… Bref, il vaut mieux s’organiser en interne que les écouter !
Quel est le plus compliqué à gérer ?
Pour bien faire les choses, il faudrait appeler les familles une par une et s’assurer que tous les élèves gardent le lien avec l’école. C’est ce que préconise d’ailleurs notre cher recteur… Difficile de se projeter sur le long terme, on ne sait pas comment on va retrouver les élèves. Pour certains, le confinement aura été particulièrement éprouvant, le contexte familial n’est déjà pas simple en temps normal. Je redoute de récupérer des élèves prostrés ou totalement survoltés !
Quel sont les risques encourus pour le travail d’enseignant ?
Je crains que le ministre en profite pour faire évoluer les choses vers une « école à distance » avec un professeur qui serait en présence devant sa classe et en même temps en visio dans un autre établissement, histoire d’économiser un enseignant. On redoute aussi que l’on nous impose de travailler cet été, que ce soit pour faire du rattrapage pour les élèves en difficulté ou pour faire des formations aux outils numériques… Juste pour précision, nous ne sommes pas au chômage technique et nous continuons nous aussi de travailler comme on peut, malgré les conditions. Nous sommes payés dix mois sur douze et si on travaille cet été, ce ne devra pas être bénévolement, comme pour tout salarié.
Et quelle pourrait être l’opportunité de ce confinement ?
Pour l’autonomie des élèves, cela peut avoir du bon, certains vont sans doute gagner en maturité !
La réflexion désagréable que vous entendez trop souvent ?
Le plus dur, ce sont les mails des parents qui perdent complètement le sens de la courtoisie. J’ai un collègue qui a reçu un mail qui disait, grosso modo, « On va oublier votre matière cette semaine car on ne s’y retrouve pas. C’est déjà assez compliqué comme ça, si vous êtes pas capable de fournir un document correctement foutu… ».
Comment prenez-vous la chose ?
J’ai bon espoir que les parents se rendent compte que faire travailler leurs enfants est compliqué, que c’est ce que l’on fait quotidiennement et qu’on a bien du courage. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de trucs humoristiques tournent autour de ça, de la galère des parents de faire faire les devoirs aux enfants et du respect qu’ils pourraient avoir vis-à-vis des professeurs. Peut-être que notre métier sera un peu mieux reconnu !
Quelle devrait être la priorité du gouvernement concernant votre métier ?
Il fallait fermer les établissements scolaires plus tôt, en l’annonçant plus de 24h avant la fermeture effective pour que l’on puisse expliquer notre organisation de vive voix aux élèves, leur laisser des documents papiers, voire du matériel informatiques pour les familles qui n’en ont pas. Aujourd’hui, si notre gouvernement pouvait mettre à disposition des outils qui fonctionnent mieux, ce serait pas mal ! Il me semble que ça va dans ce sens. Et s’ils veulent arrêter de faire des annonces intenables ou incohérentes, je suis plutôt pour.
Le métier que vous n’aimeriez pas faire en ce moment ?
Pas très original, mais en ce moment je n’aimerais ni être infirmière, ni parent de trois enfants de moins de 12 ans. Et encore moins les deux en même temps…
Un conseil à donner aux gens qui vont vous lire ?
Prenons le temps de faire ce que l’on n’a jamais le temps de faire, comme lire, qui est encore le meilleur moyen de s’évader en restant sur place.
PROPOS RECUEILLIS PAR MAŸLISS FLAMBARD