Il est 19h30 quand Alex rentre de son exploitation. Solitaire dans l’âme et fier de l’être, cet amoureux de la nature profite des premiers soleils de printemps pour se délecter du calme environnant. Sa qualité de vie contraste néanmoins avec son emploi du temps surchargé. L’arrivée des beaux jours n’est pour lui pas synonyme de vacances, bien au contraire…
Comment ça va ?
Bien ! On a beaucoup de travail à l’exploitation. La saison commence à reprendre. Entre les récoltes, la préparation des légumes pour les jours de marchés, les semis et plantations, le désherbage, l’arrosage, l’entretien du matériel, la gestion des approvisionnements en fournitures, les pauses café et les temps de vente, on ne s’ennuie pas ! On carbure en moyenne à 60 heures par semaine.
Comment votre travail quotidien s’organise-t-il durant le confinement ?
Il n’y a pas grand chose qui change. Je continue d’aller au travail, sauf que je ne croise personne dans les rues. J’adore !!! Pardon, c’est l’émotion… Plus sérieusement, nos temps de vente ont dû être adaptés, notamment avec l’annulation de certains marchés. Par chance, nous avons un magasin et on en fait profiter nos voisins laitiers. On s’entraide comme on peut entre agriculteurs… Avec les nouvelles directives données par l’État, on ne peut plus faire entrer nos clients à l’intérieur du magasin. Ils font donc la queue dehors, parfois pendant plus d’une heure, les pauvres ! Quand arrive leur tour, ils nous disent ce qu’ils veulent, on prépare, ils payent et c’est un de mes collègues et lui seul qui touche l’argent. Il doit encaisser un chèque toutes les 10 minutes, il se fait trop chier. Mais bon, c’est pour des raisons sanitaires…
Le plus compliqué à gérer ?
Avec mes associés, on serre un peu les fesses pour nos approvisionnements ! Beaucoup de commandes passées n’arrivent pas jusque chez nous car les magasins sont fermés. Cela peut retarder nos chantiers. Je pense notamment à notre matériel d’irrigation. On a aussi eu un peu peur que notre fournisseur de jeunes-plants ne puisse plus distribuer. Si ça avait été le cas, on n’aurait rien pu mettre en culture depuis le début du confinement, donc pas d’oignons cette année par exemple !
Comment se comportent les clients ?
Ils sont super cools, même plus gentils que d’habitude ! Sans déconner, un client sur quatre nous remercie d’être ouverts, et avec le sourire. Ils sont super reconnaissants, c’est assez fou ! C’est juste dommage qu’il faille une pandémie pour qu’ils remarquent l’importance des agriculteurs. Ça marche aussi pour le corps médical d’ailleurs. Il était temps de s’en apercevoir…
Quels risques encourt votre profession ?
L’agriculture ornementale (arbres, arbustes, fleurs) va se casser la gueule puissamment ! Je pense qu’il va y avoir pas mal de fermetures cette année, à moins d’aides exceptionnelles de l’Europe. Le meilleur exemple en ce moment est celui des producteurs de muguet. Ça fait un an qu’ils préparent leurs fleurs et misent sur un seul jour de vente. Là, ils vont couler. Mon maître d’apprentissage m’a appelé ce weekend. Il travaille dans une pépinière ornementale. Avril, c’est 25% de son chiffre d’affaires. Ils ont dû jeter 50 000 plantes et faire venir un huissier pour constater les pertes, des fois qu’il y ait une subvention… En ce qui nous concerne, on a la chance d’avoir un magasin pour faire de la vente en direct. Les gens se sont précipités sur la bouffe la première semaine du confinement. C’était comme à Noël. Sans ça, on aurait balancé nos légumes à la poubelle. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup de producteurs qui ne vendent que sur les marchés qui sont annulés.
Y voyez-vous une opportunité, un côté positif ?
Par chance, on ne peut pas bloquer l’agriculture puisque sans nous, si j’ai bien compris, personne ne mange.
Quelles devrait être la priorité du gouvernement concernant votre métier ?
L’État fait bien ce qu’il veut. Nous, on aura besoin de rien de toute façon ! La vente directe s’en sort plutôt bien dans cette affaire. Les gros producteurs et les lobbies agricoles vont pleurer un peu mais ils recevront des aides financières. En plus, tous nos clients nous proposent leur aide bénévolement, c’est sympa de leur part.
Le métier que vous n’aimeriez pas faire en ce moment ?
Absolument tout ce qui peut se faire en télétravail ! Le confinement a commencé pile-poil au début des superbes journées. Dans nos prairies, on a de magnifiques floraisons de fritillaires pintade, c’est trop beau ! Je suis tout le temps dehors et j’adore mon métier ne serait-ce que pour ça !
Un conseil à donner aux personnes qui vont lire cette interview ?
Faites votre possible pour fuir les grandes surfaces. Allez acheter votre nourriture chez quelqu’un qui la produit elle-même. Dans les marchés, les revendeurs sont légion. Il existe un annuaire que vous pouvez consulter… Sinon quelques AMAP continuent de faire le job.