Ce qui s’est passé hier soir avec l’annulation du concert d’Anna von Hausswolff est dramatique. Pas uniquement du fait de ne pas avoir pu voir cette artiste talentueuse, mais dramatique par son symbole.
Resituons : mardi 7 décembre 2021, la chanteuse-organiste, en tournée pour promouvoir le majestueux All Thought Flys est programmée par le Lieu Unique. Qui dit “orgue”, dit “église”. La Suédoise joue donc régulièrement dans de nombreuses églises européennes, sans jamais être empêchée ni censurée, y compris dans des pays ultra conservateurs comme la Pologne. Le concert avait initialement lieu dans l’Église Saint-Clément (quartier Joffre/Général Buat), une décision apparemment validée par le diocèse, mais certains catholiques nantais ont alors empêché la tenue de l’évènement, obligeant les organisateurs à déplacer l’évènement dans l’Église Notre-Dame-de-Bon-Port (proche du Quai de la Fosse) jugée “plus ouverte”. À l’arrivé des spectateurs vers 20 heures, les portes sont bloquées par ces fidèles catholiques prétextant qu’une église constitue un lieu sacré et que la Suédoise est une sataniste (on notera les paroles “I made love with the devil” sur le morceau Pills présent sur l’album Singing from the Grave sorti en 2010, pas vraiment une ode à l’addiction et encore moins à Satan lorsque la phrase est remise dans le contexte de la chanson). Anna von Hausswolff est assez éloignée de Marduk et autres Behemoth, il s’agit ici d’un concert… d’orgue.
Certains courageux spectateurs patients tentent de discuter avec les bloqueurs (véritables zadistes version “croix autour du coup, pull rayé chantant en boucle “Saint Marie mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs””) mais ceux-ci ne veulent rien entendre, visiblement assez mal informés sur l’artiste qui doit se produire le soir-même. On remarque que nombre d’entre eux sont très jeunes, nous interrogeant sur ce (ceux ?) qui les a poussé à réaliser cette action. Nous remarquons également l’intelligence et le calme dont font preuve les spectateurs du concerts, qui, bien que dix fois plus nombreux que les apôtres de la censure, refusent toute utilisation de la force pour les déloger. On s’interroge aussi de la présence de la police, visiblement présente pour éviter tout débordement, mais qui a aucun moment n’essaie de déloger des intégristes troublant l’ordre public et bloquant l’accès à un évènement culturel validé par toutes les institutions. On s’interroge enfin sur le peu de volonté politique de faire évacuer les bloqueurs pour que le concert ait lieu. Car oui, après une longue heure d’attente, le concert est annulé, les censeurs et les obscurantistes ont gagné, la culture a perdu.
Au-delà de la déception de ne pas assister à ce concert longuement attendu par de nombreux spectateurs, il faut aussi parfois voir le verre à moitié plein : cet évènement malheureux créé autre chose. La solidarité s’instaure rapidement chez les déçus, puis tout le monde s’éparpille dans les bars alentours. Pour nous, c’est le sympathique Balkabar en compagnie d’une dizaine de fans d’Anna von Hausswolff, Anthony, Sarah, Michaël, Bastien ou Antoine etc. On y croise Joseph, catholique pratiquant lui même choqué par l’action de ces groupes intégristes, il nous prouve que l’on peut être en désaccord et discuter. Des verres sont offerts, des sourires et des mots s’échangent, des numéros de téléphone aussi.
Hier soir, la culture a perdu face à l’obscurantisme, c’est certain. Mais si ces tristes intolérants ont peut-être eu la peau du concert, ils n’ont pas eu notre amour de la musique et de l’échange !
Amen.