La rubrique « Les mains dans le moteur » s’immisce dans l’atelier des artistes. Méthode de fabrication, prouesse technique et huile de coude : on veut tout savoir sur la fabrique du beau, du nouveau et du bizarre. Avec Louis Barreau, on parle boutique avant les représentations de son Sacre du Printemps. Ce ballet de Nijinski constitue l’acte de naissance de la danse moderne. Depuis sa création en 1913, la partition de Stravinsky fascine toujours les chorégraphes.
C’est la pièce de danse moderne la plus connue et la plus adaptée, souhaitiez-vous voir le maximum de versions ou faire table rase ?
Je n’ai pas cherché à toutes les connaître. « Une grave erreur », selon Philippe Verrièle, critique de danse. Mais je ne voulais pas être influencé, ni chercher à me distinguer : dans les deux cas, on se positionne toujours par rapport à l’existant.
Plus globalement, comment crée-t-on un spectacle de danse ?
Après avoir eu l’idée du spectacle, on estime le temps de création : huit semaines pour Le Sacre. On définit un budget et cherche des partenaires : des lieux avec une salle, et (idéalement) une co-production pour payer les salaires, les défraiements, les costumes…
L’intermittence ne sert-elle pas à payer ces salaires ?
Si, mais beaucoup d’artistes ne la touchent pas. La recherche de partenaires est difficile : certains s’engagent, d’autres hésitent ou changent d’avis. Ils se positionnent sur des critères artistiques, mais aussi des enjeux stratégiques ou politiques, hélas. Souvent, quand on commence les répétitions, le budget n’est pas bouclé. C’est un pari.
Que se passe-t-il aux premières répétitions ?
Avant d’arriver sur le plateau, j’ai déjà travaillé seul. J’arrive donc en création avec des notes, puis nous échangeons avec les danseurs, même si au final, c’est moi qui tranche. Petit-à-petit, on garde des mouvements qui deviennent des séquences, puis un spectacle complet.
C’est quoi, un bon mouvement ?
Je ne sais pas… c’est très intuitif. Aussi ringard que cela puisse paraître, je veux faire quelque chose de beau, même si le beau est relatif.
Qu’est-ce qu’un « bon » plateau de danse ?
Il faut un parquet assez souple, car un sol trop ferme abîme les articulations. En cours de création, j’ai fait le choix artistique de danser Le Sacre en baskets. Ça paraît anodin, mais derrière il faut que les danseurs repensent leurs appuis. Et ça a posé des questions de lieux. Certaines structures avaient des tapis neufs, les baskets les auraient abîmés. Mais les parquets dessous étaient trop usés : comment danser au sol s’il y a des échardes ? On peut rectifier cela avec du scotch Gaffer. Un choix artistique a des conséquences techniques, logistiques, donc budgétaires.
Y a-t-il des répétitions entre les représentations ?
Non. Une fois la production terminée, on passe à la diffusion. Plus on joue, plus la danse « rentre » dans le corps. Et les danseurs « révisent » avec la vidéo. En France, en moyenne, une compagnie n’a que deux ou trois dates par an. Avec Le Sacre, on en a une dizaine, c’est beaucoup.
Pourquoi ?
En France, nous avons la chance d’avoir beaucoup de compagnies et beaucoup de spectacles, mais pas beaucoup de place dans les programmations. On trouve les programmateurs un peu durs, mais eux aussi ont des contraintes : ils ont un cahier des charges édicté par les ministères, les financeurs, des quotas pour les jeunes publics, pour les artistes locaux… Ils ne font pas ce qu’ils veulent.
Interview réalisée par TIM BLIT
Le Sacre du Printemps, lundi 7 et mardi 8 mars au TU (Nantes – 44)