Entre indie, musique du monde et pop mainstream, Yalta Club pourrait bien décrocher la timbale avec Hybris, son deuxième album. Entretien avec Geff, chanteur du quintet franco-allemand et originaire de Nantes.
Vous sortez votre 2ème album dix ans après la création du groupe, c’est rare à l’heure où il faut une actualité permanente pour faire exister un groupe…
Yalta Club, c’est un petit délire d’étudiants qui dure depuis 10 ans. On a effectivement pris le temps de mûrir, de se trouver, même si le line up actuel du groupe n’a que cinq ans. Nous avons pris le temps de faire ce disque. On voit chaque album comme un jalon important, comme une nouvelle identité du groupe pour ne jamais faire du surplace. Le premier album a été fait très rapidement. Pour celui-ci, nous voulions prendre notre temps : nous avons composé 60 démos pour arriver au résultat final.
Vous fonctionnez en démocratie alors que vous êtes cinq dans le groupe, comment trouvez-vous un terrain d’entente dans la création sans tomber dans un consensus « mou » ?
Il est vrai que les grands groupes sont souvent composés d’une ou deux têtes pensantes, mais il est important pour nous que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Cela peut effectivement prendre du temps pour que tout le monde s’épanouisse mais, comme dans une famille, il faut que tout le monde s’y retrouve. Il n’y a que les paroles que je fais seul, puisque cela demande un travail d’introspection impossible en groupe. Le faire à plusieurs diluerait le propos.
Ce disque est beaucoup plus 1er degré que le premier. Qu’est-ce qui vous a amené à faire ressortir vos émotions ?
Sur le premier album, c’était une sorte de manière de se protéger les uns les autres. Là, nous voulions aller plus loin, exprimer des choses, chercher l’émotion et le ressenti, pas juste jouer des morceaux. Nous n’aurions pas écrit cet album sans le drame de l’Hyper Cacher et de Charlie Hebdo. On a tout de suite écrit le morceau Love, qui ouvre l’album, pour exprimer ce que l’on ressentait.
Vous parlez aussi d’immigration, de violence sexuelle tout en étant lumineux et « tubesque ». Avez-vous conscience qu’un morceau comme The Door pourrait être un hit populaire ?
On a conscience que certains morceaux correspondent à un format radio. Nous avons grandi dans cette culture du single et sans single, c’est dur de faire exister un disque.
Les groupes ne parlent jamais des concessions à faire pour qu’un disque marche. Comment fonctionnez-vous ? Vous vous dites « il faut qu’on compose un single » ?
Il y a une part consciente et inconsciente là-dedans. Lorsqu’on sent qu’on tient une mélodie très accrocheuse, on va peut-être pousser le curseur vers quelque chose de simple en terme de chanson, ce qui ne garantit aucunement le succès d’une chanson. C’est assez schizophrénique ! Il est difficile de savoir à quel moment tu es dans le compromis et à quel moment tu restes droit dans tes bottes. Aussi, le disque a été produit par Florent Livet qui a travaillé avec Phoenix,c’est quelqu’un qui fait un disque pour que ça marche.
Quelles sont les ambitions de cet album ?
C’est compliqué de se projeter. Notre ambition est juste de faire de plus en plus de musique et d’en vivre, sans se fixer de mauvais objectifs, ce qui arrive parfois chez les groupes.
A l’instar de beaucoup de groupes actuels, vous intégrez les musiques du monde. D’où vient cet intérêt chez les nouveaux groupes ?
D’internet ! Dans les années 90, on n’écoutait qu’un seul style. La question « t’écoutes quoi comme style » voulait dire quelque chose. Maintenant, l’accès à toutes sortes d’artistes a décloisonné les choses. La musique traditionnelle est une source intarissable de trouvailles ou de rythmiques jamais entendues.
Comment expliques-tu que les musiques du monde imprègnent autant la musique pop et que les partis politiques prônant la fermeture des frontières soit aussi populaires ?
Je rencontre souvent de gens très ouverts musicalement mais qui n’appliquent pas cela dans leur vie de tous les jours, c’est effectivement très étrange.
Vous vous définissez comme un collectif, une tribu, pensez-vous que l’on a aujourd’hui besoin de se sentir ensemble dans un monde où tout tourne autour du « moi » ?
Aujourd’hui, tout est fait pour que l’on se renferme sur soi-même alors que les choses sont plus belles à plusieurs. Pour de vrai. Ce ne sont pas que des mots ! Nous voyons nos concerts comme une fête, une connexion humaine entre nous qui va au-delà de la musique, pas juste une heure où l’on joue nos morceaux sans se préoccuper du fait que les gens aient passé un bon moment ou non. Cela amène des moments de magie que je serais bien incapable de créer tout seul.
Interview réalisée par PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD