Après l’étourdissant Dying is a Wild Night, Mélissa Laveaux sort Radyo Siwèl, un album hommage au patrimoine haïtien entièrement chanté en créole. Folk, pop, indie rock et musique caribéenne, le retour aux racines de cette Québecoise d’origine et aujourd’hui parisienne est diablement enchanteur.
Pourquoi avoir fait de la musique ?
Petite, c’était la seule chose sur laquelle j’arrivais à me concentrer longtemps. Je voyais ça comme un casse-tête que je ne pouvais résoudre. C’est d’ailleurs toujours le cas ! Mes parents m’ont inscrite à des leçons de piano, mais je n’y suis pas allée car j’avais perdu le chèque qu’ils m’avaient donné (rires). À 13 ans, j’ai ensuite découvert la guitare en autodidacte et la machine était lancée !
Tes parents ont quitté Haïti à l’âge de 18 ans pour fuir le régime de Papa Doc (François Duvalier) et sont restés au Canada où tu es née. Avec ce dernier album, tu plonges dans tes racines haïtiennes sans jamais y avoir vécu, à quel point cette culture a imprégné ta vie ?
J’ai été élevée dans les traditions haïtiennes, mais on parlait peu créole pour s’intégrer et mes parents n’évoquaient que très peu leur vie au pays. Ce passé, celui de la dictature, était malgré tout très présent dans mon enfance. Ma mère avait une peur irrationnelle de l’enlèvement et du viol. Je n’ai compris pourquoi que longtemps après.
D’où est venue cette idée d’un album en créole ?
Depuis 2011, je m’intéresse aux chansons tr aditionnelles haïtiennes qui ont marqué la période de l’occupation américaine de 1915 à 1934. Je suis allée sur place et j’ai retrouvé certaines œuvres que j’avais déjà entendues, d’autres inconnues dont il a fallu trouver les partitions et parfois inventer les mélodies. J’ai gardé les textes existants, mais je me suis permise de rajouter quelques mots, en essayant d’être à la hauteur. Ces chansons étaient des comptines,sans cela l’album aurait fait 10min (rires).
Cet album est tourné vers le passé, raconte-t-il quelque chose sur aujourd’hui ?
Clairement, il y a encore beaucoup de pays occupés par la force armée. On peut résister par la guérilla, mais aussi par la culture. La musique peutchanger les mentalités, c’est une manière assez ludique et facile (c’est dur de trouver quelqu’un qui n’aime pas la musique) de découvrir d’autres cultures. Je ne sais pas si ma musique le fait, mais j’essaye modestement.
Dans une précédente interview, tu disais avoir choisi des chansons qui disent « on n’a pas honte de qui on est, on est bien comme on est ». Parviens-tu à appliquer ce message à toi-même ?
Je suis une personne pleine de regrets pour quelqu’un de 33 ans… Ma famille a vécu une histoire parfois pénible, je ne m’autorise pas à faire de la m*rde (rires). J’apprends à me dire que je suis bien comme je suis. La société consumériste nous explique tout le temps qu’il faut être plus maigre, qu’il faut consommer ci ou cela, donc on apprend tous les jours à se détester tel que l’on est et à courir après un trou noir.
Les artistes ne passent-ils pas leur vie à courir après quelque chose ?
On poursuit parfois une catharsis, mais j’essaye constamment de m’en défaire. Mon premier album était sur la découverte de soi, le second parlait de déchirure, celui-ci est une remise en équilibre.
Ce n’est pas la première fois que tu reprends des chansons existantes, tu t’es aussi attaquée à Beyoncé, Weezer, Elliot Smith. Penses-tu que les chansons doivent vivre après la mort de leurs auteurs, comme des recettes de cuisine ?
Bien sûr ! J’aime les reprises pour montrer que si une chanson est bonne, elle peut être jouée dans n’importe quel style et à n’importe quelle époque. Cela m’aide dans des périodes où je n’écris rien. Composer est de plus en plus dur car je suis beaucoup trop cérébrale et obsédée par l’écriture. Le fameux casse-tête dont je parlais tout à l’heure (rires).
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.