Depuis le 29 mai 1979, la discothèque Le Floride accueille les noctambules nantais férus d’underground jusqu’à 7 heures du matin. Retour sur quatre décennies de fêtes et de rock avec Victor « Vicky » Abitbol (frère de la célèbre patineuse Sarah Abitbol, c’est cadeau pour vous), d’abord serveur, puis dj et enfin patron du « Gibus nantais ».
Avant l’aventure du Floride, tu vis à Paris avec tes grands-parents. Qu’est-ce qui te pousse à vivre à Nantes ?
À l’époque, j’ai 19 ans et je sors d’un BEP en électromécanique, mais c’est vraiment pour dire que j’ai fait quelque chose (rires). Parallèlement, je suis aussi un oiseau de nuit qui aime danser en pleine période disco et funk. Mon père vit à Nantes et sort aussi beaucoup. En 1979, il m’appelle pour me dire qu’il ouvre une discothèque. Je le rejoins directement !
Vous vouliez appeler le lieu « le Miami » au départ.
Oui, mais le nom était déjà pris par un bar à filles (rires).
Le lieu était-il dédié au rock dès son ouverture ?
Non, au départ, nous passions des choses assez classiques pour faire concurrence au Bagadou. Les 1ers concerts, c’était du jazz, puis du reggae, même des thés dansants ! Quand notre dj est parti, j’ai quitté le bar pour les platines. Nous sommes en 1981. Musicalement, ce qui se passe est très fort et riche. C’est l’explosion du punk, de la new wave, de la cold wave, tous les styles en « wave » (rires). L’émulsion est réelle et part dans tous les sens, autant en termes de son que de mode. Tous les groupes passent chez nous car nous sommes les seuls à les faire jouer dans un lieu qui ferme tard. Il y a des gothiques, des punks, des gens du « milieu », tout ça se réunit autour de la musique, mais pas que. La fête continue après le concert, contrairement à aujourd’hui où tout le monde doit partir après la dernière chanson.
Tu évoques le « milieu » nantais. J’ai souvent entendu que Le Floride a été un repère de ce milieu. Est-ce une légende ?
Oui et non. C’est vrai qu’il y avait des personnages, mais nous sommes passé au travers de la « mafia nantaise ». Peut-être parce que nous étions musicalement à part, il n’y avait pas de dance, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Et en même temps, Le Floride était « LE » lieu où il fallait aller, donc nous avions des bourges qui venaient s’encanailler comme des zonards. On nous surnommait « le Gibus nantais ».
Comment compares-tu le monde de la fête des années 80 à celui d’aujourd’hui ?
Déjà, il y avait peu de drogues dures. Cela existait, mais c’était réservé à une sorte d’élite friquée. Les gens buvaient moins, les filles particulièrement. Nous sommes alors dans la révolution musicale et créative qu’est le punk. C’est parfois perché, voire dada. Je pouvais passer une chanson barrée, inconnue et indansable, le public ne quittait pas la piste. Des groupes se créaient chaque semaine, même quand ils ne savaient pas jouer. C’était une période insouciante où tout était possible, il suffisait juste de se bouger. Il n’y avait pas cette pression de l’argent et de la performance. Si aujourd’hui, les gens boivent plus c’est à cause de ça. La société est sous tension, mais les gens ont toujours envie de faire la fête et de s’amuser.
Pourquoi avoir quitté l’île de Nantes et déménagé en 2002 ?
À partir des années 90, c’est le début des réglementations, des limitations de sons, des plaintes à tout va. On reçoit une pétition du voisinage initiée par un directeur d’école. La ville nous demande de fermer plus tôt, ce qui équivaut à la mort du Floride. On obtient un sursis, le temps de trouver un nouveau lieu. Je reprends alors Le Saint-Domingue, un bar musical dans lequel les clients du Floride terminaient la nuit pour manger du poulet grillé. Le Hangar à Bananes n’est pas encore ouvert, c’est une véritable friche, sans lumière, un no man’s land, limite un coupe-gorge, mais ça marche. Le public est toujours là. Encore aujourd’hui.
Y-a-t-il aujourd’hui des « enfants du Floride » ?
J’ai vu des gamins au Floride avec leurs parents qui étaient d’anciens clients. Un soir, j’ai même eu un jeune qui m’a confié que son père et sa mère s’étaient rencontrés ici, qu’ils ont même conclu ici, voire…
… l’ont conçu ici ?
Pratiquement (rires). Dans l’ancien Floride, il y avait une petite salle assez sombre où l’on a parfois retrouvé des couples (rires). Pour en revenir aux enfants du Floride, on peut parler de La Scène Michelet et du Ferrailleur dont les propriétaires organisaient des concerts de métal au Floride. Leur arrivée et celle du Hangar à Bananes en 2007 a d’ailleurs boosté notre activité.
As-tu d’autres exemples de discothèque, rock qui plus est, qui a duré plus de 40 ans avec la même direction ?
Ça n’existe pas ! Je ne veux pas rentrer dans le Guinness book des records. Je n’ai jamais cherché à monter d’autres lieux, je suis très bien ici. On a gardé notre ligne de départ, celle d’un lieu à part, à la playlist underground, malgré les changements de mode.
Et physiquement, pour tenir 40 ans ?
Physiquement, ça va, non ? (rires). J’ai la chance de ne pas être trop porté sur l’alcool, je ne me suis pas laissé débordé par cela contrairement à d’autres patrons qui sont tombés dedans. Aujourd’hui, j’ai 59 ans, des enfants, on n’ouvre plus sept jours sur sept, mais trois nuits par semaine.
Question classique, mais obligatoire. Ton meilleur souvenir de concert ici ?
Il y a en a trop. The Divine Comedy, Punish Yourself pour le visuel, Étienne Daho car le personnage est aussi doux et élégant que sa musique. Et puis Noir Désir, juste avant que ça explose auprès du grand public. Quand ils sont rentrés dans le premier Floride qui était tout petit, ils ont fait demi-tour ! J’ai dû négocier avec le manager. Le concert était dingue, on l’a d’ailleurs filmé. Le manager m’a pris la VHS en me promettant qu’il m’enverrait une copie. Il ne l’a jamais fait, le salaud ! Elle doit exister quelque part…
40 ans du Floride du 9 au 10/06 avec L’orchidée, Picasso Y Los Simios, Gaume, Rosemary & The Brainless Idols, Hi Fi Gen. Gratuit sur invitation à retirer au Floride et auprès des artistes.
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud