Récemment signé sur le label Cinq7 (Bertrand Belin, Oxmo Puccino, The Dø…) Inüit navigue entre influences pop et électroniques. Tribale et spatiale, la musique de ces Nantais est pleine de promesses, en témoignent leurs passages aux Transmusicales et plus récemment à Rock en Seine. Entretien avec Coline et Pierre, respectivement chanteuse et percussionniste de ce groupe hybride aux notes savantes.
Inüit fait parler de lui en ce moment, mais le groupe a commencé en 2014. Est-ce important de prendre son temps alors que les modes changent tous les deux mois ?
Pierre : Il faut prendre du recul pour savoir ce que tu as envie de dire et de faire. Mais l’urgence est aussi très importante chez nous ! Par exemple, lorsque Coline est arrivée dans le groupe, on a jeté tout ce que l’on avait fait avant et composé de tout nouveaux morceaux en trois mois pour être prêts aux Transmusicales de Rennes.
Coline : L’urgence nous permet de jouer et de prendre des décisions plutôt que de tergiverser pendant des heures.
Pierre : À six, on peut vite s’enliser à parler plus que jouer, on a besoin de deadlines impossibles !
Justement, faire de sa musique un métier crée-t-il plus de tensions dans un groupe de musique ?
Pierre : Il y a une pression supplémentaire et des gens autour qui attendent des choses de nous. On est plus soudés, mais nous nous remettons plus en question.
Coline : On prend aussi moins de pincettes tout en apprenant parfois à se mettre en retrait genre « je n’ai pas envie de me battre sur cette chanson, je vous fais confiance ».
Pierre : Et à anticiper les réactions des autres quand on se propose une idée musicale vraiment différente, genre « n’ayez pas peur, ça va bien se passer… » (rires).
Quels sont vos ambitions avec cet album alors des centaines de disques sortent toutes les semaines ?
Pierre : Arriver à le terminer, déjà (rires) !
Coline : Juste de sortir un disque qui raconte quelque chose et qui nous plaise à nous, c’est très égoïste comme démarche.
Pierre : On n’a pas d’ambitions de ventes etc. Ça, c’est le label qui s’en occupe.
Coline : Il n’est pas naturel pour un artiste de penser au marketing. Même si la plupart sont obligés de faire comme ça.
Y a-t-il une part de chance dans le succès ?
Les deux : Forcément !
Coline : C’est aussi beaucoup de travail, mais on voit plein de supers artistes qui travaillent autant que nous et qui galèrent. Nous sommes conscients de vivre un certain rêve.
Pierre : La rencontre avec Benjamin Lebeau du groupe The Shoes est notre gros coup de bol. Il nous a fait profiter de son réseau, nous a aidés à trouver un label, un tourneur etc .
Le bon vieux « il faut monter à Paris pour percer dans la musique » n’est donc plus d’actualité.
Pierre : C’est une erreur de faire ça. Il y a tellement de groupes là-bas, tu te fais bouffer si tu ne connais personne dans le milieu. C’est la jungle, sans parler du prix des locaux de répétitions !
Coline : Aujourd’hui, pour être remarqué par les Parisiens, mieux vaut faire son trou en province.
Vous parliez de « vivre un rêve », c’est un vieux fantasme de faire de la musique ?
Coline : J’ai commencé très tôt le piano et le chant. Enfant, je disais déjà à mes parents que mon rêve était « devenir intermittente du spectacle » (rires) !
Votre musique s’inspire des rythmes africains, comment expliquez-vous ce retour des musiques du monde dans la pop et l’électro ?
Coline : Maintenant, la musique appartient à tout le monde ! L’époque où il fallait être « légitime » pour emprunter la musique d’autres cultures est révolue. Il n’y a plus de barrières. Paradoxalement, on assiste à un repli sur soi et une peur de l’autre dans notre société.
L’actualité inspire-t-elle votre musique ?
Coline : Cela nous traverse. Un artiste a le pouvoir de se faire entendre…
Pierre : …et donc une responsabilité de parole. On a déjà abordé le droit de choisir sa sexualité dans Tomboy, nous avons aussi composé une chanson sur les violences policières.
Coline : Si tout le monde n’entend pas le texte politique d’une chanson dansante, ce n’est pas grave. Au moins, le texte se balade.
Quel est le rôle d’un artiste ? Divertir ?
Coline : Pour moi, cela relève du domaine médical : faire du bien, faire réfléchir ou danser…
Pierre : … Procurer des émotions, simplement.
Pourriez-vous cesser d’écouter un artiste qui n’a pas les mêmes convictions que vous ?
Pierre : Si le message est dans la musique, oui ! Mais je sais que Kanye West est un trou du cul, tout en adorant ce qu’il fait.
Coline : Il faut faire la part des choses. J’adore le hip-hop, mais je fais du tri. C’est parfois trop misogyne pour moi.
J’ai lu que vous voyiez Inüit comme une tribu. Ressentez-vous le besoin de faire partie d’une entité qui dépasse les individualités ?
Coline : Tout le monde a peur de sentir seul, c’est pour ça que les réseaux sociaux ont été inventés et que ça cartonne autant.
Justement, comment abordez-vous ces derniers et le fait de devoir produire constamment du contenu qui n’a rien à voir avec la musique pour exister sur la toile ?
Pierre : On ne force pas. On est nés avec les réseaux sociaux, c’est naturel pour nous.
Et si demain ça s’arrêtait ?
Pierre : Il faudrait juste trouver d’autres moyens de communiquer. En tout cas, réseaux sociaux ou pas, la musique sera toujours faite de la même manière !
Interview réalisée par PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD