Le monde du youtubeur ciné se divise en deux catégories, ceux qui veulent « peser dans le game », et ceux qui l’ont plié avec leur café matinal, François Theurel AKA Le Fossoyeur de Films étant de cette dernière catégorie. Pertinent, passionné, souvent très drôle, ce Lyonnais de 37 ans nous livre depuis 2012 ses pensées et analyses avec une justesse rarement égalée sur Youtube. Près de 800 000 abonnés plus tard, l’histoire du Fossoyeur est close, mais celle de François Theurel ne fait que commencer !
Comment êtes-vous arrivé à YouTube et au concept du Fossoyeur de Films ?
Avant que je commence la vidéo, je voyais toute une scène émerger sur internet, surtout composée d’Américains, notamment The Nostalgia Critic. Je me suis dit « mais en fait, je peux faire ça ! » et me suis lancé en 2012 ! Le premier Fossoyeur était la première vidéo que j’ai réalisée et montée de ma vie, à l’exception de celles que je faisais gamin avec le caméscope de mon père. C’est très cliché de dire « je ne m’attendais pas du tout à ce que ça marche », mais à l’époque quand on disait que des gens se lançaient sur YouTube et arrivaient à en vivre, c’était presque une légende urbaine…
Le personnage fictionnel du Fossoyeur est-il une manière de vous préserver ou de vous cacher ?
La cachette est très relative, le Fossoyeur est une vision caricaturale de mes traits de personnalité. Au départ, c’était juste moi avec une pelle sur l’épaule qui cabotinait un peu. J’aimais son côté improbable, mes goûts me portaient vers cet imaginaire nanardesque dans le style d’Ed Wood. Un fossoyeur sorti d’un film d’épouvante en noir et blanc, au milieu d’un nuage de fumée… C’est en forgeant qu’on devient forgeron et c’est comme ça que le concept a évolué car je m’ennuie rapidement et je suis mon premier critique. Quand je regarde mon travail des cinq premières années, j’ai honte tout en ayant de l’affection pour ces vidéos.
Pour beaucoup de gens, la clôture de « l’histoire » du Fossoyeur a marqué la fin d’une époque. Pour vous aussi ?
Bien sûr, ça m’a beaucoup touché, d’autant plus qu’on avait fait deux avant-premières en salle. À titre personnel, 2018 était vraiment une année de merde, j’étais au plus bas. Les deux derniers épisodes sont gavés de choses qui me sont très personnelles et qui comptent pour moi. C’est pour ça que, par la suite, je me suis retiré quasiment un an. J’ai réfléchi à ce que je voulais faire et j’ai développé de nouvelles démarches, notamment Camera Obscura qui est mon travail le plus personnel.
Comment résumerais-tu le concept de Camera Obscura ?
La formule qui me revient à chaque fois que je pense à ce concept c’est « Interroger le sensible ». C’est de l’anti-chronique cinéma. J’adore me taire, je ne suis pas du tout dans cette culture internet qui consiste à donner son avis sur tout et sur rien, surtout quand j’estime que je n’ai rien à dire. On est dans une culture de la sur-analyse. Avec internet, nous sommes tous devenus experts en décorticage. C’est une impasse. Ce qui me fait vibrer dans le cinéma, ce sont ces moments où on l’on doit fermer sa gueule.
Comment avez-vous vécu “l’après Fossoyeur” ? Vous sentez-vous prisonnier de ce personnage ?
C’est toujours le cas, mais « Fossoyeur », c’est presque devenu un surnom aujourd’hui. La plupart des gens ont intégré le fait que ce n’était qu’un personnage, ils ont arrêté de me demander où était la pelle. J’ai arrêté cette émission car j’avais fait le tour de ce que je voulais faire du concept « chronique-fiction ». Il fallait passer à autre chose, je n’avais pas envie de me retrouver à 50 balais à parler devant des posters de films avec une pelle sur l’épaule.
Êtes-vous satisfait de la tournure que prend votre l’émission Virées Ciné ?
C’est un format à fort potentiel que je commence à peine à explorer. Aller sur les lieux de tournage, pas seulement pour être là, mais pour partager le ressenti, comprendre comment les équipes ont triché avec l’espace, comment le film s’est construit… En fait je suis un « confectionneur » et le fonctionnement de YouTube ne nous attire pas du tout vers cela. La question de l’algorithme nous pousse à faire de la quantité. Pour faire une chaîne qui « marche », il faut faire des « critiques à chaud » sur les dernières sorties ciné et pas se prendre le chou.
Penses-vous qu’il y aura un avant et un après COVID dans le cinéma ?
C’est encore difficile de prendre la mesure du truc. Nous sommes en train de vivre un choc qui se dilue dans le temps et qui n’est pas identifié par une date comme l’est le 11 septembre. C’est comme si nous étions tous en train de vivre en slow motion. D’un point de vue créatif, ça sera une source d’inspiration, un peu comme le Japon à la suite du traumatisme nucléaire. Cela dit, je ne pense pas non plus qu’on verra surgir un Godzilla dopé au COVID ! On continue à se rattacher au cinéma tel qu’il a été jusqu’à présent, mais la question qui m’intéresse plus que jamais aujourd’hui, c’est finalement « Qu’est-ce que le cinéma ? ».
Justement, aujourd’hui les séries s’approprient des moyens autrefois réservés au cinéma. Certains reprochent d’ailleurs au cinéma de se sérialiser.
Effectivement, le cinéma se dilue un peu partout. Certaines séries sont plus cinématographiques que des films. Ces dernières années, l’univers Marvel (Iron Man, Avengers etc.) a été un terrain d’expérimentation passionnant. Indépendamment de ce que l’on pense de ces films, ça reste inédit dans l’histoire du cinéma. C’est le marché qui veut ça, dans une industrie qui s’accélère et minimise les risques. Aujourd’hui, bonne chance pour voir un gros budget qui ne serait ni une adaptation ni un remake !
La VOD est en plein essor : pour certains, c’est la condamnation des salles de cinéma, pour d’autres c’est l’opportunité de voir fleurir de nouvelles productions, qu’en pensez-vous ?
Un peu des deux, mais je ne pense pas que les salles soient condamnées, il y aura toujours ce besoin de partager. Quand on y pense, l’expérience du cinéma est super chelou. On se retrouve avec des inconnus dans une salle obscure pour regarder dans la même direction… La VOD n’est pas une passade, c’est un canal de diffusion comme un autre. Esthétiquement, le cinéma est partout, dans les jeux vidéo, dans les pubs, sur YouTube… Et s’il est partout, alors inversement, il n’est plus nulle part. J’hésite à créer une chronique provocatrice qui s’appellerait Le cinéma est mort, pour parler de tout ça !
Propos recueillis par AXEL KRIEF.
Youtube : Le Fossoyeur de Films
Son livre : T’as vu le plan ? 100 plans cultes (ou pas) et ce qu’ils nous apprennent sur le cinéma, sorti en 2018 et édité chez Tana, 23 à 30 euros.