Ex-Deschiens, chroniqueur sur France Inter, chanteur de music-hall, comédien de théâtre et cinéma et auteur, François Morel est un amoureux des mots, les tendres et les drôles qui guérissent nos maux. Grabuge a (trop brièvement) rencontré ce « mélancomique » de toujours.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir artiste ?
J’avais trop d’incompétences (rires) ! Petit, j’étais mauvais en sport et en bricolage alors que j’étais assez bon en récitation et rédaction. L’art m’a toujours aidé à accepter un quotidien parfois difficile.
Il y a longtemps, vous évoquiez l’ennui comme source d’inspiration lors de votre enfance. Est-il encore possible de s’ennuyer pour un enfant en 2017 ?
Si j’avais eu 15 000 activités, je n’aurais pas eu le temps de rêver d’être artiste. Il y a aujourd’hui un souci d’efficacité chez les
parents, souvent pour désamorcer leurs propres angoisses, mais pas celle de leur enfant pour qui il suffit parfois d’un bout de bois pour s’amuser.
Quels étaient vos rêves d’enfant ?
Monter sur scène, faire rire ! C’était mon obsession, j’aurais tué pour un bon mot, moins maintenant, peut-être parce qu’il est très difficile de faire rire…
Vous n’êtes donc pas un humoriste qui a l’obsession de faire rire ?
J’aime aussi être le rigolo, mais je ne peux me forcer et chanter « tata yoyo » toute la journée. J’essaye de mettre un fond de mélancolie dans le drôle et de l’humour dans les choses tristes.
Contrairement à beaucoup de vos contemporains, il n’y a jamais une once de cynisme dans votre humour. Êtes-vous aussi comme cela dans la vie ?
Je suis toujours en empathie avec les personnages que je joue, j’essaye de les comprendre plutôt que de les juger. Mais je peux être cynique entre copains, parfois inutilement.
L’humour peut-il faire mal ?
Bien sûr ! En prenant des têtes de Turc ou en s’attaquant au physique, par exemple. Je ne suis pas un saint pour autant.
Beaucoup d’humoristes pensent que l’humour est moins libre qu’il y a 30 ans, qu’en pensez-vous ?
Aujourd’hui, on fait de l’humour segmenté et codé. Un humour homosexuel pour les homos, un humour juif pour les juifs etc. C’est mon fantasme de faire rire tout le monde, sans forcément y parvenir, mais j’essaye de faire passer une émotion que l’on va tous vivre ensemble. Mes idoles comme Fernand Raynaud faisaient autant rire l’avocat que l’ouvrier. Effectivement, je crois que Pierre Desproges qui commençait son spectacle par « est-ce qu’il y a des juifs dans la salle ?» provoquerait plus de colère que de rire. Peut-être parce que la vie n’est tendre avec personne…
Pensez-vous avoir amené des gens au théâtre qui n’y seraient pas allés ?
On me le dit ! Certains croient que le théâtre n’est pas pour eux. J’ai d’ailleurs été élevé comme ça. Il y a une barrière sociale, on peut avoir peur d’être mal à l’aise et même se dire « je sais pas comment je dois m’habiller pour y aller ».
Justement, avec Les Deschiens (pastille humoristique sur Canal+ entre 1993 et 2002), vous parliez de la France rurale qu’on ne voit que rarement à la télévision ou au théâtre…
La série n’était pas sociologique, mais on parlait des gens qui n’allaient pas bien. Nous utilisions des personnages et des mots que nous avions entendus dans notre enfance provinciale. Effectivement, ces gens n’étaient pas représentés dans l’art et les médias.
Jean Rochefort suivait vos chroniques sur France Inter et vous qualifiait de « Christ gauchiste », que voulait-il dire, selon vous ?
Sûrement parce que je votais plus à gauche que lui (rires), même si je ne suis plus certain d’être de gauche quand je la vois aujourd’hui. Et peut être pour mon amour des combats désespérés (rires).
Aujourd’hui, un artiste se doit-il de parler de politique ?
Pas du tout, du moins pas au sens « politicien ». Je parle seulement du monde qui nous entoure plutôt que de dire pour qui voter ou ne pas voter. C’est plus ouvert et moins réducteur que de parler de Macron ou de Mélenchon !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.