Cette rentrée, l’ex-Scène Michelet regarde dans le rétro en fêtant ses 14 années d’existence tout en faisant peau neuve après une rénovation complète et un changement de nom (qui a fait couler beaucoup d’encre sur les réseaux sociaux) : Le Michelet. Double rencontre avec Olivier, fondateur du lieu qui compte prochainement passer la main à Chloé, nouvelle chargée de production de ce café-concert devenu une véritable institution du rock à Nantes.
Revenons d’abord à 2007, comment te vient l’idée de monter La Scène Michelet ?
Olivier : Après avoir vendu des BD sur les marchés, je me retrouve au chômage ! Parallèlement, avec ma troupe de théâtre d’impro, je sens qu’il y a une demande de salles accessibles, alors je me lance ! Au tout début, on ouvre de 8h à minuit, le café est dégueulasse, j’ai deux tireuses à bières, pas de terrasse, deux enceintes, un micro, aucune expérience avec les groupes de musique et un mauvais caractère, donc je fais plein de bêtises !
Les trois/quatre premières années sont compliquées, quel est le changement qui fait décoller le lieu ?
Olivier : La scène punk s’approprie le lieu ! Avec les associations qui tournent autour de groupes comme Justin(e) ou Vladivostok, ceux que j’appelle les « punk BAC+5 », on trouve une réciprocité que je ne connaissais pas avec les musiques institutionnelles. L’ironie, c’est d’avoir trouvé un modèle économique viable avec des punks révolutionnaires (rires).
Puis arrive un incendie en 2012…
Olivier : Je pense d’abord tout arrêter, puis on refait tout à neuf, on achète du matériel, on arrête d’ouvrir le midi alors que c’est rentable et l’on se concentre uniquement sur la programmation et le développement de notre réseau. On fait « moins », mais « mieux » ! Notre univers artistique devient cohérent, c’est là que ça décolle vraiment. Parallèlement, les associations qu’on a aidées au début se professionnalisent, tout est plus facile et le public te fait confiance, il vient pour découvrir quoi qu’il arrive.
Cela coïncide-t-il aussi avec le succès du Hellfest ?
Olivier : Oui, et celui du Ferrailleur, qui deviennent des locomotives. Avant, le métal n’était pas cool ! Nous étions mal vus dans le quartier, Jean-Louis Jossic, l’adjoint à la culture de l’époque nous disait que c’était « une musique alcoologène », je n’étais pas invité aux anniversaires des copains de mes enfants etc. Quelques années après, les pouvoirs publics nous reconnaissent, la Ville de Nantes nous soutient, les parents d’élèves m’invitent tous aux anniversaires et même le voisin qui lançait des pétitions contre le bar me demande des places pour le Hellfest (rires).
Quel est votre état d’esprit juste avant la crise du Covid-19 ?
Olivier : Je me dis que j’en ai marre et qu’il faut que je prépare la suite ! J’ai maintenant 40 ans, une femme et deux enfants, je n’ai plus envie de finir à 3h du matin, les fêtes, on les commence le midi maintenant (rires). Je sens que je m’épuise, mais aussi que je ronronne, je suis moins à l’écoute des demandes de groupes, moins alerte sur les nouvelles musiques. Je pourrais fonctionner éternellement avec mon vieux réseau, mais Le Michelet se doit d’être un lieu d’émergence. C’est là qu’intervient Chloé, ses 23 ans et sa niaque !
Chloé, comment te retrouves-tu aujourd’hui à ce poste de chargée de production ?
Chloé : J’organisais déjà des concerts au Michelet depuis Rennes, je chante aussi dans un groupe de stoner psyché (Djiin). Olivier m’a observée, m’a proposé des cartes blanches, puis un service civique pour enfin intégrer l’équipe en CDI.
Juste avant la crise ?
Chloé : Olivier a tenu parole, malgré la crise. Il n’a pas lâché l’équipe durant le confinement. J’ai déménagé de Rennes alors que l’on ne savait pas si les concerts allaient repartir.
Olivier : Mon banquier m’a dit que c’était une hérésie d’embaucher à ce moment-là (rires), surtout que j’ai maintenu les salaires des employés, excepté le mien. Durant ce confinement, Chloé et l’équipe ont accueilli des groupes en résidence, lancé les concerts en streaming, puis ré-ouvert Le Michelet, tout ça avec un œil neuf.
Décrivez-nous la réouverture du premier déconfinement ?
Olivier : Du stress ! Il faut se souvenir que nous n’avons pas eu d’aides au premier confinement, nous devions ouvrir et fêter ces 13 ans d’existence !
Chloé : Nous étions l’une des seules salles de l’Ouest à refaire des concert en intérieur ! Il fallait tout repenser pour s’adapter aux nouvelles normes sanitaires, les concerts étaient masqués, la jauge réduite, les groupes jouaient deux fois par soir avec un public A et un public B etc. C’était compliqué, mais les spectateurs et les artistes ont vraiment joué le jeu.
Puis arrive le deuxième confinement…
Olivier : Là, nos avons eu la chance d’avoir des aides, contrairement aux autres pays du monde.
Chloé : Avec l’équipe, on s’est dit qu’on se verrait, on n’est pas seulement collègues et le Michelet n’est pas un lieu virtuel ! Nous avons accompagné des groupes qui n’avaient plus de local de répétition, proposé des ateliers avec eux pour transmettre nos compétences, mais aussi notre conviction que les groupes ne sont pas qu’artistes, mais aussi acteurs de leur scène. On a aussi refait la déco du lieu, la charte graphique, le site internet, travaillé sur un documentaire dédié au Michelet, revu la communication. Avant, c’était très punk, là nous avions un bureau et un paper board, une vraie start-up (rires).
Pour les 14 ans du lieu, vous décidez alors d’abandonner le nom La Scène Michelet pour Le Michelet.
Olivier : C’est un retour au nom originel du lieu avant qu’on arrive. Le mot « scène » était primordial au début pour que le public identifie le lieu, mais depuis, nous sommes devenus une institution locale.
Chloé : C’est aussi le nom qu’utilisent les habitués, Le Michelet, c’est une communauté. Cela a aussi permis de tourner la page après toutes les galères des deux dernière années.
Pour teaser ce changement de nom, vous avez écrit un post Facebook « Adieu La Scène Michelet » qui, c’est le moins qu’on puisse dire, a divisé le public car il pouvait laisser entendre que vous fermiez définitivement. Qu’en retenez-vous ?
Olivier : L’équipe était contre, c’était mon idée. Il y a eu 160 000 interactions, mais ce n’était pas judicieux et aujourd’hui, il n’y a plus de droit à l’erreur, même pour les « petits » comme nous.
Chloé : Nous avons quand même choisi de ne pas filtrer les commentaires, contrairement à beaucoup d’autres. Malgré la maladresse, certains commentaires étaient quand même injustes, je pense à « aucun respect pour les salles de concert qui crèvent la gueule ouverte ». Comme si on ne connaissait pas le sujet et qu’on n’en faisait pas partie ! Pareil pour le post concernant le pass sanitaire où certains nous ont traité de « collabos ».
Olivier : C’était prévisible, mais j’ai quand même reçu des menaces de mort sur ma messagerie privée !
Chloé : On a aussi lu des trucs comme « faut virer la stagiaire » . Pourquoi dire ça ? Parce que je suis une femme et que j’ai 23 ans ?
Es-tu beaucoup confronté à la misogynie dans le milieu de la musique ?
Chloé : Pas au sein de l’équipe, mais je pensais que la scène rock et métal avait beaucoup plus évolué.
Olivier : Au début, certains tourneurs dont je tairai le nom ne voulaient pas traiter avec Chloé.
Chloé : Avec mon groupe de rock, on m’a déjà conseillé que ce soit un autre membre du groupe qui contacte un programmateur car « il n’est pas très à l’aise avec les femmes, il risque de ne pas te prendre au sérieux ». On m’a aussi demandé si j’avais « sucé pour avoir ce poste ».
Olivier : Le rock est encore archaïque pour ce qui est de la parité.
Chloé : On est en 2021, les plateaux d’artistes sont beaucoup plus mixtes, les filles ne se contentent plus de la billetterie et du merchandising, même si aujourd’hui trop peu osent ou se sentent légitimes pour monter sur scène. Il faut doublement se battre pour obtenir le respect. Mais c’est comme ça qu’on va changer les codes.
INTERVIEW DE PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD
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