Après avoir raflé une Victoire de la musique en 2016, le trio électro-pop de Nice sort d’un Zénith de Paris triomphal, véritable revanche après un Olympia désastreux, et s’apprête à « conquérir » l’Amérique ! Rencontre avec Santa, chanteuse et tête pensante du collectif indé(structible) et ambitieux.
La première chose qui détonne lorsqu’on lit vos interviews, c’est votre transparence quant à vos ambitions, notamment internationales.
C’est une forme d’hypocrisie très française. Les artistes veulent le succès, mais il ne faut surtout pas le dire, il faut paraître détaché. Certains affirment ne pas vouloir être une star, mais publient dix stories Instagram par jour. Oui, on retravaille l’album pour les USA, justement. Un peu comme les Star Wars, nous sortons des rééditions en permanence (rires). Durant la conception de HH, l’objectif fixé était « sky is the limit » ! Le paradoxe, c’est qu’il faut avoir des fins ambitieuses, mais sans se laisser détruire si l’on ne les atteint pas.
Si vous n’aviez pas fait de la musique votre métier, qu’auriez-vous fait ?
La question ne s’est pas posée ! En vivre, c’était une décision collégiale dès qu’on a monté le groupe, comme un contrat de base, on ne s’est tout simplement pas laissé le choix.
Le succès (une Victoire de la musique en 2016, un Zénith de Paris etc.) est-il une prison ou une liberté ?
Avant nous faisions beaucoup de choses à partir de carton et de ficelles, nous étions de vrais MacGyver (rires). Aujourd’hui, on a juste plus de moyens pour faire plus de belles choses !
Comment vous sentez-vous dans la scène pop française ?
Nous sommes des OVNI. Notre single est quand même un hymne queer. Si on voulait passer en rotation sur les radios, on ne proposerait pas cette démarche artistique. Exister dans les médias est un combat pour nous. Ce n’est pas pour rien que l’on porte des peintures de guerre.
Vivez-vous aussi les concerts comme une lutte ?
Non, c’est une manière de m’exprimer plus facilement, mais aussi un moyen d’oublier notre condition humaine si pesante, de créer une échappatoire au quotidien. C’est déjà dur de vivre ensemble dans cette société alors, en concert, on essaye de créer un espace de liberté bien plus léger que dans la vie. Et de laisser les trucs soporifiques aux autres. Nous, on garde le fun.
Penses-tu que la musique d’aujourd’hui soit ennuyeuse ?
Ce que je regrette aujourd’hui, c’est le manque d’alternative. Il y a toujours de la mauvaise musique, à toutes les époques, mais il y avait toujours un paradoxe qui se créait autour de cela. Au début des années 90, quand les boys bands sont arrivés, Nirvana a débarqué. On manque de contre-propositions. Je crois qu’il faut revenir à la base de ce qui nous a fait aimer la musique, et c’est l’émotion.
Justement, quelle est pour toi la définition d’une grande chanson ?
C’est un morceau qui arrive à magnifier les failles de son auteur, le tout saupoudré d’un peu d’ironie qui le transforme en objet pop. Je parle d’ironie, pas d’arrogance, c’est toute la différence.
Vous parlez ouvertement de sexualité, d’abolition des genres. Pourtant, aujourd’hui tout le monde essaie de mettre des mots précis sur sa sexualité. Se définir sexuellement est-il nécessaire ?
Je ne suis pas contre la définition ! À un moment, cela permet de combattre certaines inégalités, de faire avancer les choses. Bien sûr, c’est aujourd’hui devenu un argument marketing, mais si le résultat est positif, pourquoi pas ? En revanche, si appartenir à une communauté a quelque chose de réconfortant, j’ai beaucoup de mal avec le fait de se définir uniquement par ça.
Concevez-vous la musique sans une part d’engagement ?
Pour nous, c’est plutôt un non-engagement. On ne choisit pas qui l’on est ou qui l’on aime. On peut éventuellement s’améliorer, mais la solution est souvent d’être sincère avec soi-même, même si c’est compliqué. D’ailleurs, c’est pour ça que je chante en anglais, car si une distance s’opère avec cette langue, elle me permet de dire des choses que je n’oserais exprimer en français, même auprès des membres du groupe. Sur scène, tout cela est exalté, à la fois mis en scène et totalement sans contrôle, c’est paradoxal. On se donne beaucoup, parfois à nos dépens.
Avec le temps, vous ne souhaitez pas maîtriser votre énergie ?
Pour moi, c’est un flux permanent, du streaming illimité. On tourne excessivement et nous sommes excessifs, dans toutes nos émotions et aussi dans la fête. D’ailleurs, je regrette de ne pas croiser plus de gens excessifs dans la musique. Tout est lisse aujourd’hui… J’ai l’impression qu’on s’emmerdait moins à l’époque de mes parents. Les gens avaient moins peur du regard des autres !
Justement, comment gérez-vous les critiques et notamment celles de votre concert à l’Olympia (NDLR : en octobre derniers, le groupe donnait une prestation « titubante » rapidement largement propagée sur les réseaux sociaux) ?
C’était très malaisant, mais cela représente UNE date sur les 500 que l’on a faites, c’est un non-événement. Beaucoup l’ont compris, heureusement, et nous ont soutenus. Je crois qu’on a tous le droit à l’oubli. Aujourd’hui, je ne le vois pas comme un échec, mais comme une étape de mon apprentissage.
Atteindre vos objectifs nécessite une part de chance ?
Bien sûr ! Je vois beaucoup de gens extrêmement talentueux qui ne rencontrent pas le succès par manque de chance. Cette dernière peut se provoquer, mais il y a toujours cette notion de « bon endroit au bon moment ». C’est un algorithme incertain, mais cela ne le rend pas moins beau.
En concert le vendredi 9 août au Festival Fête du Bruit à Landerneau avec Orelsan, Prophets of Rage, Frank Carter & The Rattlesnakes…