Illustratrice et auteur de bande-dessinée, Marion Montaigne sait, comme personne, marier science et fantaisie. En 2011, avec Tu mourras moins bête, adapté en série animé pour Arte, elle pousse la vulgarisation scientifique à son paroxysme avec un humour potache, décomplexé et surtout libérateur. Bye bye, les Bogdanoff !
Tu es une passionnée de science depuis toujours, pourquoi t’être tournée vers le métier de la bande-dessinée ?
Parce que je n’avais pas les capacités (rires). D’ailleurs, je n’étais pas une grosse lectrice de BD durant l’enfance. Nous en avions à la maison, mais je ne lisais pas les bulles, je ne regardais que les images. Plus tard, à l’adolescence, j’ai commencé à aimer les trucs que j’avais pas le droit de regarder comme Akira où il y avait du sang et des gros mots. Professionnellement, j’ai pas mal tâtonné. J’aimais beaucoup de choses, comme la biologie, mais le dessin était ce qui m’embêtait le moins. Je n’avais pas de plan de carrière, il se trouve que c’est devenu ma vie, mais comme on dit « ce n’est pas un vrai métier » (rires).
La création du blog, puis de la série animée Tu mourras moins bête est-elle une réaction à ta frustration de ne pas avoir été chercheuse ?
En partie ! Je n’ai jamais osé faire de la science, je me sentais nulle, je me disais que c’était réservé à une élite, c’est peut-être un truc de fille. Mais l’idée de départ, c’est mon amour pour ces petites infos incroyables que l’on trouve dans les documentaires comme « on perd 2 kilos de peau morte par an ». Je me dis qu’il faut que le monde soit au courant. La vraie vie, c’est de la science-fiction.
Tu t’inspires aussi du cinéma avec des épisodes comme La triste vie de Darth Vader ou À quand le sabre laser ?, arrives-tu à regarder un film sans penser à ton prochain blog ?
Je suis horrible (rires). Devant Le Seigneur des Anneaux, je prenais des notes sur Gandalf !
Tu rencontres des chercheurs pour alimenter tes textes. Que pensent-ils de ton travail ?
Avec le succès, je dois effectivement beaucoup vérifier mes sources. Les scientifiques sont assez indulgents avec moi, ils ne m’en veulent pas de ne pas avoir un BAC S. La plupart apprécient tout ce travail de vulgarisation, d’autres non. Pour ces derniers, la science ne doit pas être simplifiée et ne comprennent pas que je puisse faire porter une jupe à des bactéries.
Qui de l’art ou de la science inspire-t-il le plus l’autre ?
Je crois que si l’art disparaît, la science peut vivre sans. Pas l’inverse.
Tu abordes la sexualité de manière potache, tout en étant juste et frontale. Penses-tu qu’il existe un vrai déficit d’information sur ce sujet ?
Je ne pars jamais du principe que je vais « éduquer la plèbe ». Dans ma famille, on rigole de tout : la mort, la maladie… Cela m’étonne toujours qu’on ait du mal à parler de ce sujet, alors qu’il est omniprésent au quotidien. Avec une féministe suédoise, nous avions animé une conférence sur les menstruations et tout le monde a trouvé ça très courageux. Pour nous, c’était comme évoquer les problèmes de gencive ! L’objectif, c’est de détendre l’atmosphère. On peut très bien dessiner un clitoris et faire de l’humour avec, il n’y a pas mort d’homme.
Est-ce qu’en gagnant ta vie en dessinant des pénis tu réalises le rêve de beaucoup d’adolescents ?
(rires) c’est vrai que j’ai un boulot sympa !
Professeur Moustache, le personnage de Tu mourras moins bête, est-il le premier héros LGBT de bande-dessinée ?
Au départ, ce n’était pas réfléchi. J’ai juste dessiné un personnage qui a des seins et une moustache, sans penser au genre. Malheureusement, pour la série animée, on a dû trancher pour le doublage, ce qu’on m’a d’ailleurs reproché. Mais quand François Morel accepte de travailler pour vous, ça ne se refuse pas.
Le dessin est-il une fin en soit ou un moyen de faire passer un message ?
Je me fiche un peu de l’esthétique, ce qui m’importe, c’est le rythme et de dynamisme. Par exemple, Blake et Mortimer qui sautent d’un immeuble, une action très courte, et qui arrivent à faire une bulle avec 3 kilomètres de textes… ça me rend folle ! Parfois je me dis que je pourrais mieux dessiner, ce que je peux faire en m’appliquant. J’ai souvent eu ce reproche : « c’est rigolo, mais qu’est-ce que c’est moche » (rires).
Tu participes cette année au festival Les Utopiales. Imaginons que tu sois le maître du monde, quelle serait ton futur idéal, ton utopie ?
Quelle horreur (rires). Petite, j’écoutais la chanson En l’an 2001 de Pierre Bachelet, j’imaginais des voitures volantes et des aliens. Aujourd’hui, on ne parle que d’effondrement, c’est difficile de voir au-delà. Je pense que la technologie ne va rien changer tant que l’humain n’aura pas fait sa psychanalyse, qu’il n’aura pas compris pourquoi il fait toujours les mauvais choix et pourquoi il va systématiquement dans le mur.
Interview réalisée par PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD