Nous l’avons croisé sur Canal + (La Revue de presse des journaux que personne ne lit, Importantissime…), plus récemment sur France Inter. Aujourd’hui, Chris Esquerre revient à son éternel (et jubilatoire) rôle de conférencier je-sais-tout pour Sur Rendez-vous, son deuxième one-man- show génialement loufoque.
Allô, bonjour.
Bonjour, je ne vous dérange pas ?
Non, c’est moi qui vous appelle (rires) ! Devenir artiste était-il un rêve d’enfant ?
Pas du tout, j’y ai pensé sur le tard, après ma vie professionnelle. Enfant, j’ai désiré être pompier ou « fabricant d’ordinateur », ce qui ne veut rien dire. Quand je suis devenu consultant en entreprise, j’ai commencé à m’ennuyer et à comprendre que je ne tiendrais pas dans un métier aussi sérieux. Devenir artiste ne m’a demandé aucun courage. Au contraire, c’était une fuite. Il est d’ailleurs important de ne pas colporter cette idée qu’il suffit de décider de devenir un artiste, il ne faut pas culpabiliser sur « j’aurais dû me lancer là-dedans il y a 10 ans ». Cela arrive quand ça arrive, quand le fruit est mûr et qu’il tombe. Je dirais qu’il faut se laisser tomber la pomme.
Vous considérez-vous comme comédien, humoriste ou comique ?
Je ne suis pas comédien, dans le sens ou je n’interprète pas différents personnages, d’ailleurs je joue comme un cochon. J’aime bien l’idée d’être humoriste, de fabriquer des idées. « Comique », c’est juste être drôle, et personne ne peut dire qu’il l’est naturellement, ou alors à ses dépends. D’ailleurs, si mon métier est de trouver des idées incongrues, déjà parce que j’aime beaucoup ce mot, il consiste surtout à reconstituer des moments de vie où j’ai été drôle malgré moi, de comprendre pourquoi et de reproduire ce ridicule.
Montez-vous sur scène pour entendre les rires ou les applaudissements ?
Le rire est une gratification immédiate, mais aujourd’hui, je prends beaucoup plus de plaisir à surprendre le public. Quand aux applaudissements, je dis toujours aux spectateurs de ne pas applaudir. C’est devenu une convention. D’ailleurs, même lorsqu’on n’a pas aimé, on applaudit quand même l’artiste, juste par courtoisie. Et puis, le bruit n’est pas spécialement agréable…
Contrairement à vos collègues du stand up, vous ne faites pas de « vannes » à proprement parler. Cela vous rend-il hermétique au « bide » ?
Le « bide » a été inventé par ceux qui font des vannes. Lorsque le comique arrête de parler pour signifier au public que c’est le moment de rire et qu’il n’a pas ce qu’il espérait, c’est un bide. Personnellement, je ne m’arrête pas de parler. C’est plus chouette car les spectateurs rient seulement quand ils le veulent et n’ont pas la pression d’éventuellement décevoir l’artiste. Bref, le bide n’arrive que lorsque l’humour est souligné.
Votre personnage est drôle car il parle comme s’il savait absolument ce qu’il fait, alors qu’au fond il sait qu’il est aussi perdu que le public. Avez-vous déjà pensé à exploiter cette fragilité sur scène ?
Non, car je crois que ça m’effraie. Comme je vous le disais, je joue très mal, mais j’aurais surtout peur de me prendre au sérieux, ce qui est l’antithèse de mon métier. En faisant cela, je vais moi-même me faire rire et automatiquement essayer de désamorcer l’émotion.
Aujourd’hui, les humoristes et les chroniqueurs radios affichent fortement leur couleur politique. Avez-vous pour principe de ne pas divulguer la vôtre ?
Si je suis neutre, ce n’est pas pour plaire à un maximum de monde, mais parce que je mise sur l’intelligence du public. Je viens d’une famille de gauche, mes parents étaient professeurs, donc cela inculque quelques réflexes qui d’ailleurs auraient pu être complètement différents si j’étais né autre part. Je reste très critique avec la gauche telle qu’elle est aujourd’hui. Les humoristes « de gauche » ont tendance à enfoncer des portes ouvertes et dire au gens ce qu’ils doivent penser. Moi-même, lors d’une discussion, il m’arrive parfois de prendre un position libérale juste pour le plaisir de discuter et d’explorer cette idée. Je crois profondément que nous sommes le produit de là où l’on a grandi, donc je me méfie de ceux qui s’affichent en « libre-penseur ». Je n’y crois pas.
Vous n’êtes donc pas accro à Twitter ?
Si, mais je pense que le taux d’idiots sur Twitter est le même que celui de la vraie vie. Ce qui est dommage, c’est que personne n’y fait preuve de pédagogie. Si quelqu’un écrit « la terre est plate », personne ne lui dit « non, je pense que tu fais erreur car… », c’est « regardez, comment peut-on dire ça en 2020 ? Comment cette personne peut travailler dans cette entreprise ? Il faut la licencier ! » Je ne suis pas certain que ce soit comme ça qu’elle change d’avis…
Tout ça est-il nouveau ?
Non, c’est juste que la parole publique n’est plus réservée qu’aux gens des journaux et de la télévision. Avant, ce n’est pas qu’on pouvait tout dire, c’est juste que les gens ne pouvaient pas se plaindre. Malheureusement, l’indignation est aujourd’hui devenue un sport. Certains découvrent avec passion le pouvoir d’un chef de meute. Mais déjà avant, des comiques faisaient carrière juste en se défoulant sur d’autres. Personnellement, je déteste cette excitation malsaine des foules et cette fausse indignation. On y perd de vue le but d’origine qui est souvent un combat juste.
Avez-vous déjà fait les frais d’une polémique ?
J’ai un positionnement humoristique à l’abri des polémiques ! Mais il faut aujourd’hui prendre des précautions infinies. On peut facilement avoir une plainte de l’association des personnes qui ont mal au genou qui se vexe d’une blague car pour eux c’est un vrai problème et ce n’est pas drôle. Je le sais bien, parceque j’ai souvent mal au genou.
INTERVIEW RÉALISÉE PAR PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD
En spectacle le jeudi 15 octobre au Piano’cktail (Bouguenais – 44) à 20h, 9 à 19 euros.
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