Pour son premier numéro, Grabuge joue des poings avec le trio BASTON et la formation BAGARRE. À ma gauche, Maxime, chanteur et guitariste rennais de 28 ans représente un garage shoegaze aussi efficace qu’artisanal. À ma droite, Emma, Cyril et « La Bête » (âgés de 25 à 29 ans) concourent dans une catégorie hip-hop/rock/trap francophone étonnante. On parle musique, violence et passion, mais sans rixe ni anicroche. Que de la tendresse, bordel !
Pourquoi avoir monté un groupe ?
Bagarre : Pour changer le monde ! Et puis, on était trop petits pour faire une équipe de basket.
Baston : À 17 ans, certains se lancent dans le skate ou le surf, moi j’ai piqué les disques des Rolling Stones de mes parents et j’ai immédiatement voulu faire ça. Au début, c’est en solitaire, tu apprends à jouer d’un instrument, seul dans ta chambre. L’idée de groupe naît ensuite.
La notion de groupe et même de rock a-t-elle encore du sens en 2016 ?
Bagarre : L’attitude du rock est aujourd’hui dans le rap. Les rappeurs sont plus punks que les punks. Le rock est devenu, à l’instar du jazz manouche, une musique folklorique comme une autre.
Baston : C’était une musique populaire au départ, mais c’est devenu un truc d’intello et les groupes se prennent parfois trop au sérieux. Finalement, le rock ce sont des jeunes qui montent un groupe et qui se bougent pour sortir des disques, faire des concerts et pas en train de se masturber avec de la com 3.0, des teasers etc.
D’ailleurs, vous dîtes « groupe » ou « projet musical » comme les professionnels ?
Bagarre : Un projet musical, c’est pour le conservatoire, non ?
Baston : « Groupe » ! Je ne dis pas non plus « track » pour dire « chanson » ni « collectif » pour dire « asso ». Ce sont des termes d’intello qui me trouent le cul.
Avec des noms de groupes comme Bagarre ou Baston, il ne vous est pas arrivé des bricoles ?
Baston : Au début, des mecs venaient au concert en pensant qu’on était un groupe ultra-violent et se barraient au bout de deux minutes. Ce nom n’était qu’une blague entre nous.
Bagarre : On trouve ce nom très visuel, poétique et fourre tout, mais il y a plusieurs autres groupes qui s’appellent Bagarre. Au tout début, un producteur nous a contactés pour nous faire tourner. Sur le moment,on s’est naïvement dit « ça y est, c’est parti pour nous » alors qu’il nous confondait avec un groupe d’italodisco hollandais ! Sur Facebook, nous sommes souvent tagués dans des soirées improbables avec Joey Starr !
Vous faîtes-vous violence pour monter sur scène ?
Bagarre : C’est très naturel chez nous. Si l’on se fait violence, c’est pour être meilleur.
Baston : L’idéal, c’est lorsqu’il n’y a pas de scène. Tu sens les gens, ils ont plus bu, le concert est plus borderline et il se passe des trucs cools.
Bagarre : L’autre jour, une bagarre a démarré au premier rang, une histoire de chippies, rien de très méchant, mais tu ne sais pas comment réagir. Tu te rends aussi compte que ta musique peut être interprétée d’une manière qui t’échappe.
La musique est-il un moyen d’affronter le quotidien ?
Bagarre : Complètement, c’est le bouclier ultime ! Cela te permet de t’inventer, comme une version super-héro de toi même. Aujourd’hui, on est bien mieux dans nos pompes et la frontière entre ce que l’on est sur scène et dans la vie devient poreuse.
Baston : Personnellement, j’ai d’autres choses que la musique dans la vie. La musique est, je ne dirais pas « secondaire », mais pas obligatoire, ce qui la rend encore plus belle.
D’ailleurs, vous vous définissez comme un « Deerhunter raté »…
Baston : Oui, on assume nos influences, on est pas du genre à dire « j’ai jamais écouté ça » alors que la référence est ultra évidente ! On ne pense pas notre image, nous ne sommes pas dans la pose.
Dans l’actualité, les gens protestent et certains rentrent dans une confrontation physique, quel regard avez-vous sur cette révolte ?
Bagarre : On se sent concernés et on essaye de rester ouverts. Comment améliorer les choses ? En coupant la tête des rois ?
Baston : Ce sont des questions compliquées et la politique ne m’intéresse plus depuis longtemps. Ce n’est pas nouveau que les gens aient envie de tout casser et je peux le comprendre. On dit que notre époque est moins violente, mais c’est faux.
Bagarre : Les médias traitent cette actualité de manière binaire. On oppose action et inaction. Ceux qui cassent et ceux qui ne font rien. Or, on a l’impression qu’il se passe plein de choses entre les deux, mais invisibles dans les médias. Les gens ne sont pas bêtes, chacun a sa réflexion qui l’amène ou non à agir, même ceux qui cassent !
Un groupe doit-il avoir un propos, qu’il soit musical ou politique ?
Baston : Les groupes qui ont un propos sont souvent les plus chiants ! Les mecs qui s’auto-proclament « artiste » et qui pensent que leur message doit être diffusé ne me parlent pas… Nous, on essaye juste de faire ressentir des petits trucs aux gens, pas de remuer les consciences ! On peut d’ailleurs très bien aimer une chanson sans comprendre son propos.
Bagarre : On parle de notre quotidien en espérant que d’autres vont s’y retrouver. Bob Marley ou les Clash chantaient pour les 200 personnes qu’ils connaissaient et cela a résonné dans le monde entier. Faire du rockabilly ou un autre genre moins actuel est déjà un propos en soi, autant que de faire un truc moderne et soit-disant « nouveau ».
Il y a une part d’agression dans vos musiques respectives, que ce soit la distorsion de la guitare ou la virulence des textes, qu’est-ce qui vous attire dans cette approche ?
Baston : C’est normal d’être attiré par le coté rebelle du rock lorsque tu es adolescent. Aujourd’hui, on écoute du hip-hop, du jazz… Le rock n’était qu’une porte d’entrée à la musique. D’ailleurs, nous ne sommes pas violents dans la vie. Notre musique ne représente pas forcément ce que l’on est au quotidien. Nous ne voulons jamais tomber dans la mièvrerie, encore moins jouer les durs. Le faire alors que tu es un agneau dans la vie est ridicule.
Bagarre : Notre musique n’est pas agressive, mais plutôt « sans filtre » ni second degré. Entre nous, on se dit vraiment les choses, sans chichi. Mais nous ne sommes pas agressifs. La meilleure bagarre, c’est celle que l’on empêche !
Interview réalisée par PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD