À 17 ans, BigFlo & Oli signent leur contrat en maison de disque. À 18 ans, les deux frères reçoivent leur premier disque d’or. Adeptes d’un rap tantôt fun tantôt sensible, presque « émo », les Toulousains sortaient cet été La Vraie Vie, un deuxième album aux instrumentaux (composés par eux-mêmes) aussi amples que cinématographiques. Rencontre avec Oli, moitié d’un duo droit dans ses tongs.
Vous livrez vos peurs et vos doutes dans les textes de vos chansons, sans créer d’alter-égo. Êtes-vous en décalage avec le rap contemporain ?
Certains rappeurs se créent un personnage, car en ce moment il faut grossir le trait pour que les gens comprennent. Nous, on ne fait pas rêver les gens, on ne se cache pas derrière une invincibilité de façade.
Avec cette démarche, comment êtes-vous perçus dans ce milieu ?
On a vite compris qu’en se mettant à nu, on ne risquait pas grand chose ! On a commencé avec les battles (NDLR : match entre rappeurs dont l’issue se juge à l’applaudimètre) où l’on se clashait nous-même en se moquant de notre physique, par exemple. Les mecs en face ne savaient plus quoi dire, nous avions déjà désamorcé toutes les critiques que l’on pouvait nous faire.
En parlant de critique, votre succès est aussi important que soudain, vous devez en lire souvent…
Cela fait partie du jeu et certaines visent parfois juste, même si c’est dur à entendre. Contrairement aux artistes plus anciens parfois choqués par la violence de certains commentaires, nous sommes une génération née avec les réseaux sociaux et malheureusement habituée à cela. On est aussi conscients que cela n’est qu’internet, pas la vraie vie.
Pourquoi avez-vous décidé de faire du rap votre vie ?
Parce que je ne sais pas cuisiner (rires) ! On a d’abord commencé par écrire des textes puisque nous voulions fuir un certain ennui. La musique est arrivée ensuite, très rapidement car notre père est musicien et ne nous a jamais empêché d’en faire notre vie.
Vous arrive-t-il de vous auto-censurer dans vos textes ?
Cela peut arriver pour ne pas blesser nos proches.
Un artiste ne doit-il n’écrire que pour lui ?
Je n’y crois pas, même si beaucoup d’artistes se cachent derrière ce genre d’affirmation. Nous avons commencé à écrire pour nous faire du bien, mais tu chantes principalement pour être écouté !
Dans La Vraie Vie, vous avouez craindre un éventuel échec de votre deuxième album…
Tous les artistes ont peur de ne plus toucher les gens. Ceux qui disent le contraire font semblant. Nous savons que l’industrie de la musique est un milieu difficile, on a vu des rappeurs exploser et redescendre aussi vite. En revanche, on a la chance de ne pas faire de « rap de club » où les tendances sont éphémères. Les gens nous écoutent avec le cœur, c’est pour ça qu’on divise mais aussi pour cela que nous avons plus de temps pour s’installer. Même dans les morceaux les plus « mainstream » et légers, on essaye toujours de dire quelque chose d’important.
Comment compose-t-on un morceau « grand public » ?
C’est aujourd’hui impossible de savoir ce qui va marcher demain, il n’y a pas de règle. Nos potes nous demandent juste de faire quelques morceaux moins mélancoliques où ils peuvent un peu taper du pied (rires) ! Pour nous, ce sont les plus durs à écrire.
Maintenant que vous êtes professionnels, arrivez-vous à écouter de la musique sans penser au boulot ?
C’est compliqué, comme un pâtissier qui achète un gâteau chez un concurrent, il va tout analyser. (rires)
Vous avez commencé et connu le succès très tôt, vous n’avez parfois pas envie de reprendre une « vie normale » comme les jeunes de votre âge ?
Parfois, j’aimerais pouvoir aller la Fac et voir mes potes le soir… Mais on sait qu’on a une chance incroyable avec BigFlo & Oli. Nos amis nous le rappellent tout le temps, ils ne mettent pas de gants avec nous.
Dans une vieille interview, vous déclariez « en France, quand t’es jeune, ta parole a peu de valeur », vous le pensez toujours ?
La génération internet est beaucoup dénigrée dans les médias alors que j’ai plein de potes qui sont des génies, qui font des applis ou des chaînes Youtube incroyables. Sur le marché du travail, on nous demande toujours de l’expérience, mais personne ne prend le risque de nous la donner. C’est le serpent qui semord la queue.
Vous avez refusé une apparition télévisée en compagnie de Véronique Genest car vous n’aviez « pas envie de rentrer dans un débat sans issue sur des sujets qui nous dépassent », vous sentiez-vous illégitimes de vous exprimer sur ses propos sur l’Islam ?
On savait juste que l’on ne cautionnait pas ses déclarations, mais nous ne voulions pas faire semblant de tous savoir sur le sujet. J’ai l’impression que personne n’a les bons mots lorsqu’on parle de religion.
Pensez-vous que votre musique peut apporter au débat social ?
C’est le rôle de tout être humain de s’exprimer sur la société, mais je pense que les gens de notre génération ne croient absolument pas en la politique telle qu’elle est. On suit ce qu’il se passe, mais plutôt d’un œil amusé, c’est plus une émission de télé-réalité qu’autre chose…
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.