Activiste des premières heures de l’électro française, Arnaud Rebotini est aujourd’hui nommé aux Césars du cinéma français pour la bande originale de 120 battements par minute, une plongée dans les années 90 au sein du mouvement Act Up et de sa lutte contre le Sida face à l’indifférence des pouvoirs publics.
Tu collectionnes les BO de films depuis toujours, pourquoi avoir attendu 2013 pour réaliser ta première bande originale ?
L’occasion ne s’était jamais présentée, mais c’était un désir, plus qu’un fantasme. La manière de travailler n’est pas du tout la même. Quand j’écris pour moi, je suis le chef, toute les décisions m’incombent. Ici, je réponds à la demande d’un tiers, ce qui est finalement plus reposant. Si le morceau plaît, c’est super, si ce n’est pas le cas, je n’ai qu’à le garder pour moi s’il est si bon.
Ta bande-originale est très lumineuse et contraste avec le sujet du film, était-ce une volonté de ta part ou de celle du réalisateur ?
Celle du réalisateur ! Au départ, je suis parti sur une techno plus industrielle et radicale, mais nous nous sommes recentrés vers une house avec des tendances gospel pour que ce ne soit pas anxiogène. Le sujet l’est déjà assez. Je me suis rappelé que les militants d’Act Up allaient dans les clubs pour faire la fête et exorciser leur quotidien. Ayant vécu cette période, j’ai essayé de mettre de la profondeur. Il fallait rendre hommage à ceux qui sont morts sous les quolibets et qu’on ne voulait pas voir.
Pourquoi la musique house était-elle aussi importante dans le combat mené par Act Up ?
La house est issue du disco, qui lui vient du funk et du blues, c’est une musique d’exclus, de minorités dont la culture gay s’est emparée. On s’en rend moins compte aujourd’hui, car ce style est aujourd’hui diffusé partout et son sens politique s’est dilué. Cette musique était un peu le blues des gays. Elle ne parle pas directement des vrais problèmes, comme le blues ne parlait pas des champs de coton et de l’esclavagisme, mais elle est universelle tout en représentant un véritable étendard.
Penses-tu qu’aujourd’hui, une musique puisse être aussi politique ?
Exceptée une partie du rap, il n’y a plus de musique révolutionnaire. On a eu la liberté sexuelle, les droits que l’on voulait ont été obtenus, c’est la findes idéaux des années 70. Il y a bien eu quelques aspirations marxistes avec le rock, mais le système a largement récupéré le mouvement. Il n’y a pas eu de vrai courant depuis 20 ans. Entre Elvis dans les années 50 et Depeche Mode en 81, la musique s’est transformée. Entre les années 90 et aujourd’hui, on observe une latence créative.
Il y a un vrai déficit d’information sur le Sida chez les jeunes alors qu’internet offre un accès illimité à celle-ci, comment l’expliques-tu ?
On n’en parle plus, tout simplement. Les jeunes pensent que c’est un virus des années 90 et qu’il se soigne, or les traitements actuels ne font que limiter les symptôme. Cela reste une maladie terrible. On ne leur parle plus de préservatif et la démocratisation du porno n’a pas aidé. C’est le devoir des parents, notamment ceux de ma génération, que d’en parler à leurs enfants.
Quand tu as commencé dans l’électro, un genre anti-establishment, pensais-tu être un jour nommé à au Festival de Cannes et aux Césars ?
Disons que ça fait plaisir, mais on a vu venir cette évolution. C’est normal, les choses underground deviennent « grand public », même si je ne suis pas le mec le plus hype du monde, je n’ai jamais été porté sur le dancefloor.
Être musicien était-il ton rêve ?
La vocation est arrivée très tôt. J’ai tenu un an en tant qu’analyste-programmeur, mais j’ai arrêté car la musique était et reste mon « Plan A »
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.