En 1975, pour son deuxième film en tant que réalisateur, John Milius s’emparait d’un fait divers de 1904, le rapt d’un riche américain et de son fils par un chef de guerre Berbère au Maroc, mais pour en changer quasiment tous les éléments et les mettre à sa sauce.
Petit rappel, John Milius est le scénariste génial qui a co-écrit les deux premiers Inspecteur Harry, Apocalyspe Now, et qui a peu réalisé, mais bien : le wagnérien Conan le Barbare, le biopic réussi Dillinger et le chef-d’œuvre absolu qu’est Big Wednesday ou la geste arthurienne des premiers surfeurs américains. C’est aussi lui qu’on appelle pour filer un coup de main aux dialogues des Dents de la Mer, d’À la Poursuite d’Octobre Rouge ou du Soldat Ryan. Milius est également un personnage en soi, féru d’armes à feu, de chevalerie et dont le grand drame personnel est d’être passé à côté de SA guerre, le Vietnam, car réformé pour asthme. Ses films distillent volontiers un sentiment réactionnaire, machiste jusqu’à la caricature, mais aussi une sorte de pureté de l’intention, de sens de l’honneur exacerbé que l’on doit finalement à un homme, de son propre aveu, né à la mauvaise époque.
Outsider à Hollywood, dont il est l’un des secret les mieux gardés, il aura beaucoup inspiré ses contemporains et même la génération suivante à l’instar des Frères Coen qui basent carrément et affectueusement sur Milius, leur personnage joué par John Goodman dans The Big Lebowski. Bref, l’œuvre de Milius est la cause de la mue soudaine de nombreux petits garçons ou certainement de petites filles, et Le Lion et le Vent ne déroge pas à la règle.
En changeant le sexe de l’américain kidnappé, il se permet une sorte de remake moins raciste du Sheik de Rudolf Valentino dont il emprunte l’exotisme désuet et une histoire d’amour sous-jacente. Ce point de départ est, comme toujours chez Milius, une manière de parler de chevaliers modernes, héros d’époques révolues qui mènent un dernier combat perdu d’avance, mais d’une beauté transcendantale. Le chef de guerre Berbère est un homme libre, rustre, mais digne et qui voit en la personne du président américain de l’époque, Théodore Roosevelt, un adversaire digne d’intérêt. D’ailleurs, ce Roosevelt campé avec un plaisir évident par l’acteur Brian Keith est plutôt une sorte de forme rêvée de Milius lui-même qui travaille déjà à sa propre légende.
Enfin, Le Lion et le Vent est aussi et surtout la rencontre entre Milius et Sean Connery, un duo fait pour s’entendre. Le regretté serviteur secret de Sa Majesté interprète donc Raisuni, le premier chef de clan Berbère avec un accent écossais avec son entrain habituel lorsqu’il joue des brigands. Alors oui, aujourd’hui, ce choix de casting pourrait paraître problematic comme on dit outre-Atlantique, mais le fait même que Sean ne se sépare pas de son accent formidable et ne tente à aucun moment de se maquiller en Nord-africain renvoie finalement à la propriété assez enfantine et rafraîchissante du théâtre qu’on pourrait traduire ainsi : « on dirait que je suis un chef de guerre Berbère » et le tour est joué.
Ajoutez à tout ça des décors magnifiques et une musique de Jerry Goldsmith qui ne l’est pas moins (directement inspirée de celle de Lawrence d’Arabie, l’indétrônable chef-d’œuvre du désert) et la présence de John Huston dans un seconde rôle afin de bien souligner l’affiliation (Huston tournait la même année et avec le même Sean le relativement similaire et magnifique L’Homme qui Voulut Être Roi) et vous obtenez un grand divertissement au souffle épique comme on n’en fait décidément plus.
Le Lion et le Vent, édition collector DVD + BluRay par Rimini Editions
29,99 euros, disponible