Co-gérante de la société Nant’Effect, spécialisée dans les effets spéciaux scéniques (flammes, artifices, fumée, confettis, neige…), Nadège Rouen met à profit ses dizaines de compétences dans l’entreprise qu’elle porte avec son mari Nicolas. Sur scène, elle participe au montage technique. Derrière son ordinateur, elle gère les échanges avec les clients, la faisabilité des projets, les ressources humaines, la comptabilité… Cette petite aventure familiale grossit très vite et travaille aujourd’hui avec les plus grands : de DJ Snake à Usher, du Hellfest aux Francofolies.
Aujourd’hui responsable administrative de sa boite, Nadège commence son cursus par un diplôme d’infirmière et un début de carrière de dix ans aux urgences. En parallèle, son compagnon Nicolas travaille dans la société E44, un magasin d’électronique : il y découvre les machines à effets spéciaux pour le spectacle dans un magazine. « Il en a acheté une puis deux, trois… et il s’est lancé dans sa société pendant le congé parental à la naissance de notre deuxième enfant ». À ce moment-là, Nadège travaille encore au CHU, mais commence à lui prêter main forte : « j’ai débuté par la comptabilité, puis petit à petit, je suis partie en prestation avec lui ! ». Depuis, la société a bien grandi… Nadège en partage la gestion depuis la naissance de leur troisième enfant. Elle et Nicolas sont aujourd’hui entourés d’intermittent·es et de deux salarié·es pour répondre à toutes les demandes.
Des marchés de Noël à DJ Snake
Au quotidien, Nadège travaille avec plusieurs typologies de clients, « des producteurs et des artistes en ce qui concerne la musique, mais on a aussi beaucoup d’événementiel, du sport… La période des marchés de Noël arrive, donc beaucoup de machines à neige, illuminations… Les effets spéciaux scéniques vont des concerts en Zénith aux festivals, en passant par le théâtre, la télévision…». Au niveau géographique aussi, la carte est large : « on intervient dans le Grand Ouest, du nord (Paris) jusqu’à Bordeaux, Toulouse… mais on peut aussi aller en Belgique, en Suisse… Nous travaillons par exemple avec DJ Snake depuis quelques années, on le suit pendant toute sa tournée dans les pays francophones ».
Lors des festivals comme le Hellfest, où Nant’effect est résidente, Nadège a eu l’occasion de travailler pour les plus gros : Kiss, Metallica ou encore Iron Maiden. « Les groupes étrangers qui veulent travailler de la pyrotechnie sur un show en France doivent être supervisés et assurés via un artificier français, c’est à ce moment-là qu’on intervient. Pour Kiss, on les accueillait à leur arrivée, vers trois heures du matin. Donc on termine à peine la soirée Hellfest que l’on enchaîne avec les 11 camions de Kiss ! On se doit d’être présent·es pour vérifier ce que leurs artificiers installent et s’assurer que cela corresponde bien à ce que l’on a déposé en préfecture ».
Co-pilote de l’entreprise : plusieurs casquettes en une
Qui dit gros effets spéciaux, dit lourde responsabilité. En tant que responsable administrative, Nadège s’assure de la faisabilité d’un show, anticipe les contraintes techniques et juridiques. « On joue avec des jeux un peu dangereux, mais quand c’est bien fait il n’y a pas de raison pour qu’il y ait de souci ». En participant aux interventions sur scène, Nadège se forme à la technique : « quand tu gères de gros dossiers, il faut bien savoir de quoi tu parles. Donc tu montes sur scène, tu regardes et tu apprends ».
Pour autant, Nadège tient à son rôle dans les bureaux : « je ne pars pas seule en prestation, je préfère intervenir sur les grosses dates, lorsqu’on est en équipe. Mais ce qu’il y a en amont, la réception des demandes de devis, est très intéressant. Il faut bien savoir ce qu’on te demande et si tu n’es jamais allée sur scène, tu ne peux pas savoir ».
Au-delà des compétences techniques, c’est une foule de compétences que Nadège met à profit : « par exemple, on a travaillé sur le concert de Usher en septembre à la Seine Musicale, il y avait de nombreux échanges à gérer entre la production française et la production américaine. Quand tout est validé, il faut rassembler le matériel, organiser la préparation en atelier, la logistique, le recrutement des technicien·nes, les contrats de travail, l’Urssaf…», rien que ça !
Pour faire tourner une entreprise aussi active, il faut les ressources humaines en conséquence. « À deux, on ne pourrait pas faire tourner la boîte. On a la chance d’être entourés d’une belle équipe d’intermittent·es et deux salariés ».
« Il y a autant de choses derrière que devant la scène »
Au départ, Nadège n’a pas particulièrement d’appétence pour le milieu du spectacle, c’est en commençant à travailler qu’elle y prend goût. « Prendre soin des autres m’a rapprochée de mon ancien métier. J’aime apporter ma petite pierre à l’édifice ». À mesure que son expérience grandit, elle se laisse séduire par le spectacle : « il y a autant de choses derrière que devant la scène, c’est magique ! On a toujours autant de plaisir à aller voir une scène qui se monte : le son, la lumière, les vidéos… et aussi la fourmilière qu’il y a autour ! On ne s’imagine pas tant qu’on est pas dedans ». Ses meilleurs souvenirs ? « Le premier Poupet Déraille était vraiment magique ! Du public aux techniciens ». Fin 2018, l’entreprise est appelée pour Les Enfoirés : « c’est une belle opportunité, on voit du beau monde pour une superbe action ».
« Envoyez-moi vos CV ! »
Sans surprise, Nadège le constate : son milieu est encore très masculin. « Mais on voit de plus en plus de femmes, heureusement ! Nous en formons, d’ailleurs ! ». Mais certaines ne restent pas, n’osent pas prendre leur place… « C’est vraiment sociétal, on laisse la place à l’homme par habitude ! II y a d’ailleurs peu de femmes présidentes ou gérantes ».
Chez Nant’effect, les salarié·es sont autant d’hommes que de femmes et Nadège s’en félicite : « on a vraiment tout à gagner à travailler avec tous types de profils, différentes personnalités, sans même parler de genre : pour voir différentes façons de faire ». Dans sa propre expérience, Nadège en a déjà pâti, mais préfère ne pas trop réagir. « Sur une presta, j’ai déjà eu à faire à un macho ! Mais je ne peux pas rééduquer ces personnes, c’est fichu d’avance. Je ne réponds pas pour ne pas lui donner d’importance, je préfère l’ignorer, moi je sais ce que je fais ».
Globalement toujours bien accueillie sur les dates, Nadège remarque que c’est parfois différent au bureau « les gens sont habitués à avoir Nico, parfois ils ont tendance à le réclamer au téléphone, parce que historiquement c’est lui qui avait les compétences techniques. Mais maintenant, il les partage ! Certains producteurs âgés (rires) restent dans cette optique de vouloir discuter directement avec lui. Mais généralement, on trouve quand même une solution, j’ose prendre ma place ! ».
Ravie de voir de plus en plus de femmes en régie technique ou sur d’autres postes, « je pense qu’on est dans une ère nouvelle de bienveillance, il y a de la place pour tout le monde ! Si tu bosses bien, tu seras rappelé·e. À toutes celles qui voudraient se lancer je dirai : allez-y, formez-vous, envoyez-moi vos CV ! ».
PORTRAIT RÉALISÉ PAR LOUISE PLESSIER, Tracass Asso et Le Ferrailleur dans le cadre du festival More Women On Stage & Backstage à Nantes, grâce au soutien de M45T, E.leclerc Clisson, Hurricane Music, Filling Distribution, Constant Bourgeois, Mstream et la Ville de Nantes.