Attendu comme le messie par une foule de cinéphiles surexcités, The Irishman, 25ème long métrage de Martin Scorsese (dont c’est le 9ème avec l’acteur Robert De Niro), débarquait sur Netflix avec un casting cinq étoiles et une hype paroxystique. Inspirée de faits réels (la vie du tueur Frank Sheeran), cette fresque monumentale vient clore la quadrilogie sur la Mafia initiée en 1973 avec Mean Street, suivi par Les Affranchis (1990) et Casino (1995).
Ici, un aspect « dernier round » parcourt ces 3h30 de pur cinéma. On pense notamment à ce trio d’acteurs mythiques, familiers des rôles de gangsters depuis des lustres, que l’on imagine mal voir rempiler une énième fois. À ce sujet, Pesci aura d’ailleurs longtemps rechigné à reprendre du service, avant de finalement céder à l’appel de ses vieux comparses. Les signes du temps se dissimulent avec plus ou moins de succès à l’aide de l’imagerie numérique (il est assez savoureux d’entendre Pesci qualifier de « gamin » un De Niro qui peine à passer pour un homme de moins de 50 ans), mais appuient le caractère fataliste d’un personnage principal assistant inexorablement à l’étiolement de ses relations, de son corps et de son monde.
Rapidement, on comprend aisément que cette nostalgie d’une certaine société italo-américaine ne se borne pas au scénario, mais bien à ses propres sentiments, ses regrets mais aussi ses fiertés. Une démarche aussi funeste que synthétique de sa carrière qui n’est pas sans rappeler Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984) ou plus récemment Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino. Le réalisateur se trouve lui-même à une période charnière de son parcours. Récemment écharpé par la jeune génération suite à ses propos acerbes sur les franchises Marvel (débat que l’on va courageusement éviter), Scorsese porte malgré lui l’image d’un certain snobisme du 7ème Art, unanimement respecté, mais vieillissant et académique.
Et quand il décide de « casser les codes » en s’orientant vers Netflix plutôt que sur le circuit de distribution classique, que livre-t-il ? Un film d’un genre qu’il maîtrise, avec des acteurs qu’il connaît par coeur, sur une époque et une société qui l’ont vu grandir. Un film élégant, sans fausse note et auréolé de prestige. Un autoportrait.
AXEL KRIEF
Disponible sur Netflix