Quand on balaye la presse spécialisée sur le cinéma, il n’est pas rare qu’on lise ici et là que telle œuvre « divise la critique ». Dans la réalité, cela n’est pas si fréquent qu’on voudrait le faire croire. La critique, comme tant d’autres disciplines, suit ses courants et ses modes, et c’est souvent l’unanimité qui prévaut, dans un sens comme dans l’autre. Dans l’actu récente, on pourrait citer le malheureux Hellboy (2019) de Neil Marshall, ou à l’inverse, l’acclamé Joker (2019) de Todd Phillips. Pour illustrer ce propos, on s’intéresse au cas de la série germano-autrichienne Freud, nouveau « mouton noir » de la police du bon goût. Enquête !
Créée par Marvin Kren, Stefan Brunner et Benjamin Hessler, Freud nous emmène dans la Vienne de la fin du XIXème siècle à la rencontre du jeune professeur Sigismund Schlomo Freud, alors méconnu. Présenté comme un arriviste cocaïnomane, notre « héros » va faire la connaissance d’une belle médium et d’un capitaine de gendarmerie intègre, qui le pousseront à enquêter sur une vague de crimes sordides qui agitent alors la capitale autrichienne. Fantaisiste ? Certainement. Mais l’est-ce vraiment plus que Penny Dreadful (2014-2016) ou que The Alienist (2018) qui ont emprunté une voie très similaire, sans pour autant s’attirer une telle virulence ?
Principal écueil reproché à la série : son manque de réalisme historique. Un argument que l’on jugera ici assez inepte. Tout d’abord, retenons que beaucoup de biopics jugés « fidèles » sont souvent évasifs sur les faits, voire carrément mensongers. Sur ce point, notons que de nombreux historiens n’hésitent pas à décrire le jeune Sigmund comme sujet aux excès et souvent peu regardant sur la déontologie, ce qui va plutôt dans le sens de la série. Et puisque l’époque semble nous inciter à « séparer l’homme de l’artiste », ne pourrait-on pas égratigner le piédestal du grand homme, tout en gardant à l’esprit son apport majeur à la psychanalyse ?
Par ailleurs, toutes les « trahisons » historiques ne sont pas à prendre avec la même sévérité. Récemment, la série Hunters (2020) de David Weil, s’était vue reprocher ses excès de zèle dans la représentation de la Shoah. Une critique que l’on peut accepter, eu égard à la gravité du sujet et des attaques répétées des révisionnistes. A l’inverse, si vous êtes susceptibles de croire à une réalité historique où le Dr Freud écumait les bas-fonds de Vienne à la recherche de serial killers et de créatures occultes avec toute la petite troupe des Gentlemen Extraordinaires, cessez sans tarder de regarder des séries et allez fissa vous replonger dans vos manuels scolaires (sincèrement, faites-le).
Cela étant dit, plongeons-nous dans l’exégèse de Freud (lol). Malgré ses nombreux défauts et son thème forcément bancal, la série nous propose une ambiance thriller agréable, des décors et costumes soignés ainsi qu’une belle galerie de personnages attachants, et souvent étonnamment profonds. Freud, est une série divertissante sans être passionnante, souvent grotesque sans être totalement stupide. C’est le show que l’on regarde dans son plus beau jogging, d’un œil distrait, tandis que l’on dresse d’une main la liste de course pour le pèlerinage hebdomadaire à la supérette, et qu’on enlace tendrement sa moitié de l’autre. En un mot c’est la série PARFAITE, à l’heure où la moitié de l’Europe est confinée à double tour dans ses appartements.
Et c’est bien là ce qui explique son immense succès sur la plateforme VOD. Freud a bénéficié d’un monumental coup de chance, se trouvant au bon endroit, au bon moment, et il y a fort à parier que dans des circonstances différentes, la série serait passée relativement inaperçue dans le flot infini de contenus proposé par le mastodonte du divertissement télévisuel. Sigmund Freud (le vrai), nous a enseigné que « L’homme est rarement tout à fait bon ou mauvais », et on aurait tort de croire qu’il n’en va pas de même pour un Art aussi éminemment humain que celui du Cinéma. Freud n’échappe pas à la règle. Alors si vous souhaitez en apprendre plus sur l’histoire de la psychanalyse, passez votre chemin. Si en revanche vous cherchez un moment de pur divertissement, confortablement blotti dans le canapé, laissez votre snobisme intellectuel de côté et plongez dans la psyché du plus célèbre des thérapeutes !
AXEL KRIEF
La série Freud est disponible sur le réseau Netflix depuis le 23/03/2020 (8 épisodes de 45 minutes)