À 42 ans, l’humoriste-comédien-réalisateur n’a plus rien à prouver ni à perdre ! L’artiste français semble profiter de cette liberté totale pour pousser le vice de la provocation et lutter contre le politiquement correct « sans tortiller du cul » comme il dit. Dans une époque où il est compliqué de rire de tout (et surtout de tous), Fabrice Eboué ose (vraiment) taper sur tout le monde, même les plus faibles (handicapés, migrants, roms, malades…) ou les plus en vogue (féministes, vegans, complotistes…). Plus que jamais, Eboué est l’un des humoristes maniant le mieux la transgression dans un monde indigné au moindre tweet.
Vous considérez-vous artiste ou comique ?
Les comiques essayent tous d’êtres considérés comme des artistes. Ce qui m’intéresse depuis l’enfance, c’est de cultiver mon naturel, ce qui implique donc de ne jamais rentrer dans le moule. En tant qu’élève médiocre, je n’avais que deux sorties professionnelles possibles : la délinquance ou l’art (rires).
Adolescent, vous vous êtes d’ailleurs essayé à la musique avec un groupe de rock qui s’appelait SGO (Symphonic Golmon Orchestra).
Je braillais, essentiellement ! Je n’ai aucun don pour cet art que je trouve supérieur au mien. Le théâtre est limité au verbe et à la francophonie alors que la musique n’a pas de frontière. Pas besoin de la comprendre, il faut juste la ressentir.
Votre mère professeure agrégée et votre père gynécologue ont-ils facilement accepté votre « voie professionnelle » ?
Mon père à converti mes frères et sœurs à son métier. Moi j’ai tenté l’échec scolaire (rires). Mais lorsque que je me suis lancé dans le café-théâtre, ils ont entendu le mot « théâtre » qui implique d’apprendre son texte, de travailler etc. Ils m’ont suivi quand ils ont vu que je m’accrochais.
Lorsque vous avez commencé il y a 20 ans, le monde de l’humour était-il différent d’aujourd’hui ?
Cela n’a rien à voir ! Au début des années 2000, nous étions dans le déclin du café-théâtre, c’était ringard comparé aux comiques de la télévision (Jamel, Omar et Fred) qui explosaient. Il n’était pas question d’en faire un métier, l’ambiance était beaucoup moins sérieuse. Aujourd’hui, certains humoristes débutent avec un plan de carrière tout fait et un marketing préparé. Ce sont des « étudiants de la vanne », ils regardent tous les comiques américains, ils connaissent tout. Pourtant, je crois qu’il ne suffit pas d’empiler des vannes. Ce qui m’intéresse dans l’humour, c’est de sentir une personnalité et des blessures.
Quelles-sont les vôtres ?
Petit, j’étais le seul élève de couleur dans une école catholique, je me sentais seul. J’ai dû développer l’humour qui est une véritable arme de séduction. D’ailleurs, les gens très beaux ont souvent peu d’humour car ils n’ont justement pas besoin de cette arme pour plaire.
La recherche permanente du rire peut-elle poser problème dans une vie personnelle ?
Oui, nos histoires d’amour et d’amitié en pâtissent. Quand vous regardez un beau coucher de soleil avec votre copine et vous ne voyez que la baigneuse allemande qui a une marque de maillot, vous cassez la solennité du moment. Lorsque je vois une tragédie aux infos, certains pleurent, moi je cherche une blague, je suis toujours en alerte. L’humour est une sorte de pudeur, il protège, mais peut aussi faire mal. Parfois, cette arme nous submerge, on peut expérimenter un sentiment de toute-puissance. C’est là que l’ego submerge la réflexion et que l’on commence à écraser les autres. Depuis que j’ai un enfant, ça s’est calmé, je comprends aussi l’importance du 1er degré.
Après 20 ans de carrière, vit-on les « bides » comme au premier jour ?
Cela n’arrive pas dans un spectacle en tournée depuis deux ans. Je suis perfectionniste, si une blague ne marche que deux fois sur trois, elle finit à la poubelle. En revanche, avant chaque nouveau spectacle, je loue une toute petite salle parisienne durant l’été pour y tester toutes mes idées et là, les 15 premiers jours sont très durs ! Le one man show, il faut tout recommencer à chaque fois, c’est l’école de l’humilité.
Parlons du public. Pensez-vous qu’aujourd’hui on ne peut plus rire de tout ou plutôt que les gens ne veulent plus rire d’eux-même ?
J’en parle dans le spectacle ! Certains fustigent le communautarisme et assurent qu’il faut rire de tout, mais dès que ça tombe sur eux, ils font bloc et déclarent « non, on ne peut pas rire de ÇA » ! La liberté de l’humour est pour tout le monde ou alors pour personne, il faut choisir. Le risque, c’est de finir comme aux USA avec un humour pour les Mexicains, un autre pour les noirs etc. Ce serait aliénant et surtout peu rassurant sur la nature humaine.
Aujourd’hui, on identifie facilement les humoristes de gauche et les humoristes de droite. Mettez-vous un point d’honneur à ne pas vous placer sur une carte politique ?
Comme la plupart des gens, il m’arrive de me positionner à gauche sur certains sujets et à droite pour d’autres. Je n’ai pas le système de pensée d’un parti politique qui est, par définition, un groupe de pouvoir et de pression. Cela me paraît impossible lorsqu’on a le goût de la liberté.
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud
En spectacle le 30/11 à La Cité des Congrès (Nantes – 44), 37 à 45 euros.