De la folk baroque de Mansfield.TYA à l’électro clash de Sexy Sushi en passant par la techno berlinoise de Kompromat (en duo avec Vitalic), Julia Lanoë alias Rebeka Warrior est en mutation constante ! Originaire de Saint-Nazaire, nantaise durant cinq ans et aujourd’hui parisienne, l’artiste chante la langue française (et aujourd’hui l’allemande) comme personne.
Rêvais-tu d’être musicienne ?
Non, je voulais être peintre, mais j’ai échoué… La musique est mon plan B. C’est lorsqu’on ne cherche pas qu’on réussit, non ?
Avant Kompromat, tu pensais arrêter la musique, quel a été le déclic pour relancer ton envie ?
J’ai effectivement voulu laisser tomber, c’était lié à mon histoire personnelle… mais Vitalic est arrivé avec ce projet hyper fort et a tellement insisté…
Tu chantes en allemand dans Kompromat, qu’est-ce que t’apporte cette langue ?
Ce n’était plus possible pour moi de rechanter en français. J’avais trop d’automatismes, les mêmes mélodies qui revenaient encore et encore, ainsi que ce sentiment d’avoir déjà chanté tous les mots. Bizarrement, l’allemand m’a aidée à me livrer.
Avais-tu l’impression de te censurer avant ?
J’utilisais beaucoup de figures de style dans Sexy Sushi, mais aussi dans Mansfield.TYA, pour parfois désamorcer des paroles trop graves ou trop intenses. Ce fut un long parcours pour en arriver là, mais avec Kompromat, j’ai cessé de formuler les choses à demi-mots, j’assume beaucoup plus et je crois que ça va empirer (rires).
Kompromat est le troisième duo musical auquel tu participes, quels sont les avantages de cette formule ?
Lorsqu’on compose seule, on tombe souvent dans ses propres travers, ses habitudes. La formule du duo est plus stimulante. Carla de Mansfield.TYA m’a fait découvrir son univers baroque et la musique savante, Vitalic m’a ouverte à l’aspect « production » des chansons. Le duo permet d’apprendre et d’aimer différemment la musique. Comme dans un couple amoureux, on ne choisit pas le type d’amour que l’on vit. La rencontre l’impose.
N’as-tu jamais pensé à sortir un disque qui représenterait toutes les facettes que tu explores ?
Pas du tout, je préfère mettre des cases dans ma tête, des personnages. Tout combiner éveillerait trop de sens en même temps.
Et sur scène, que ressens-tu avec Kompromat en comparaison de Mansfield.TYA ou Sexy Sushi ?
Avec Sexy Sushi, nous ne sommes jamais rentrés nous coucher. La fête était le prolongement du concert, c’était… un style de vie (rires). Avec Mansfield.TYA, le plus dur est le trac précédant l’entrée de scène, mais après, je me sens bien. Dans Kompromat, je puise dans mon background adolescent, mon amour de la new wave et de la techno. C’est une nouvelle saveur que j’expérimente encore, c’est trop tôt pour l’analyser.
Penses-tu revenir à tes premiers amours après Kompromat ?
On travaille activement sur Mansfield.TYA que je n’ai jamais eu envie d’arrêter. Avec Carla, on a régulièrement besoin de s’aérer, mais on se retrouve toujours avec bonheur et avec des choses à se raconter. En revanche, Sexy Sushi correspond à un moment de ma vie. Sincèrement, je ne suis pas certaine de pouvoir retrouver cette rage un jour.
Quel est pour toi la définition d’une grande chanson ?
Je suis très tournée vers les émotions, donc j’ai besoin que la musique me dresse les poils. Après, la notion de « tube » m’est étrangère, je ne fais pas partie de ce monde.
Tu as pourtant composé des tubes avec Sexy Sushi…
Peut-être, mais je n’ai pas fait exprès… Comme tout ce que je fais (rires).
Tu as toujours un pied dans l’underground et un autre dans la musique grand public, est-ce volontaire ?
J’ai choisi cette place. Je ne voulais pas être trop « indie », trop obscure car j’ai envie que ma musique soit entendue, c’est quand même le but de la création. En revanche, être « grand public » implique de se plier aux diktats du marché, cela entre en conflit avec la sincérité.
Quel est le but de sortir un disque en 2019 alors que plusieurs centaines sortent chaque semaine ?
C’est comme faire des gamins alors qu’il y a beaucoup trop d’humains sur Terre ! J’ai besoin de laisser une trace de ce que je suis. Sauf que ma musique, on peut choisir de ne pas l’écouter !
D’ailleurs, question rituelle, comment réagis-tu lorsqu’on passe une de tes chansons lors d’une soirée ?
Je suis contente, j’aime ma musique !
La plupart des artistes répondent qu’ils ont envie de se cacher…
Mais qu’ils se cachent (rires) ! Il m’arrive même de réécouter mes disques. Je ne prends jamais de photo, donc c’est un peu comme regarder un album de famille.
Dans une interview, tu déclarais que la musique constituait un évasion, que c’était la seule manière d’échapper à l’ultra connexion… La poésie est-elle un acte de résistance en soit ?
Bien sûr ! Je trouve que l’ultra-connexion nous abrutit et nous déshumanise. L’humain est fascinant, il est si beau et si magnifique. Je ne suis pas sûre qu’un selfie en soit le reflet.
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.
Kompromat en concert au festival Scopitone (Nantes – 44) le 20/09 avec Molecule, Umfang, Miley Serious…