Suite et fin de nos aventures au Hellfest 2019, après un samedi fort en émotion, ce dimanche est clairement celui du groove.
Good Morning Hellfest
À 9h du matin mon corps m’alerte que je suis en train de rôtir à feu doux dans ma tente et me force à en sortir. Durant les six heures qui séparent ce moment douloureux de mon premier concert, je vais me faire une toilette sommaire à un point d’eau gratuit (se payer une douche c’est tricher), me restaurer, boire beaucoup d’eau, penser à Envy, écrire mon report de la veille, saluer mes fans et checker le programme toutes les deux minutes (impossible de me le mettre en tête…). En parcourant celui-ci au sortir de l’espace presse, le descriptif du groupe Morning Again me plaît bien, et j’ai soif de découverte après mes bonnes surprises de la veille. Et puis dites “Morning Again” à haute voix, vous verrez, c’est méga classe comme nom. J’arrive sur une warzone déserte alors que le concert doit commencer dans une minute, et j’entends des sages se plaindre du manque d’influence : “C’était pareil l’année dernière pour Integrity ! Quand ya des groupes cultes, personne bouge son fion, par contre ils étaient 150 000 devant Ultra Vomit !“. Ces paroles pleines de bon sens et un peu tristes me donnent à méditer jusqu’à l’entrée sur scène un peu déconfite des pionniers du metalcore. Fort heureusement, la gêne cède vite la place à la brutalité ! Pour un groupe qui vient de se reformer après 20 ans d’inactivité, les Américains sont très en forme. La foule afflue petit à petit et la rage s’intensifie, avec un beau final où le charismatique chanteur (des faux airs de Chino Moreno, même dans le chant et l’attitude) viendra jusque dans le pit nous faire gueuler “Trash Your Cross“. Une excellente entrée en matière !
Vamonos, vamonos
Il est 16h et e soleil darde ses rayons comme un gros salopiaud, mais plutôt que de me réfugier à l’ombre loin des concerts, je décide de m’y acclimater avec les sons caliente de Clutch qui collent parfaitement à l’ambiance. Entre la voix bien dans le froc de Neil Fallon et les rythmiques funky de leurs tubes, le groove désertique et extatique des américains fait mouche, confirmant leur statut d’incroyable groupe de scène. Enfiévré, je repousse les limites du twist et exécute sous les yeux ébahis des autres festivaliers des pas d’un nouveau genre, que j’ai décidé d’intituler “Le super twist”.
Prenez garde au groove !
Sous les applaudissements, je repars à la Warzone pour m’hydrater et voir des bouts de Cancer Bats et de Nasty, histoire de prendre ma dose de bagarre. Cancer Bats a vraiment le chic pour faire sautiller son monde dans tous les sens et leur reprise de Sabotage des Beastie Boys marche à tous les coups. Leur bonne violence coule en moi, tout comme la bière juste après ce concert. Ben Barbaud avait annoncé vouloir passer la barre des 450 000 litres vendus cette année, je ne comprends pas vraiment en quoi c’est intéressant, mais l’ayant très peu aidé ces deux derniers jours, j’accepte d’y mettre du mien. Pendant la pause, en attendant Nasty, les techniciens de la Warzone diffusent du Reggaeton et du PNL sans souci du qu’en dira-t-on, ce qui me fait éminemment marrer. Après ce hold up musical de bon aloi, les Flamands déboulent enfin sur scène et leur hardcore beatdown bas du front m’oblige à bouger mon cul pour aller les voir plus près. C’est con, mais c’est bien, parce que c’est très très violent. Les contretemps techniques propres à ce style extrême me pourrissent toutefois un peu mon groove et je vole vers la Temple pour voir un bout d’un autre groupe que je voulais découvrir mais qui, hélas, joue au même moment : Skald.
Agnus des riffs
Au final j’arrive bien trop tard pour la messe païenne de Skald car j’avais très envie d’une glace et la queue était complètement folle (mettez deux fois plus de place pour les glaces SVP), mais je me place bien devant la mainstage 2 pour Lamb of God, “une figure du proue du groove metal” d’après le programme. Donc absolument immanquable. Le rédacteur du fascicule ne mentait pas : ce concert fut une bonne grosse purge des familles. Avec des riffs aussi gras et en pagaille que les dreads de leur pétulant frontman, les agneaux de Dieu firent sensation, et j’ai plus d’une fois entendu dire que c’était un de leurs meilleurs concerts. Je ne suis pas à même d’en juger, vu que c’était pour moi une découverte, mais c’était assez séduisant pour me donner envie de les réécouter au chaud une fois le Hellfest terminé.
Cannibale lecteur
Après les brutes épaisses, place aux brutes érudites de Cannibal Corpse. Et zou, encore une découverte ! Je connais bien sûr le groupe de réputation (et j’ai vu Ace Ventura), mais pensais stupidement que c’était trop bourrin pour me plaire. C’était sans compter sur leur arme secrète : le groove. Loin des clichés que je m’en faisais, leurs partitions étaient tout à fait compréhensibles et même harmonieuses, pour qui sait tendre l’oreille. C’est intense, oui, sanguinaire, peut-être, ça donne envie de tuer des nouveaux-nés, assurément, mais au moins on peut danser ! Toujours plus que sur Slayer, qui passe après à l’autre bout du site, pour leur tournée d’adieu. C’est sans doute le groupe qui s’est le plus souvent produit au Hellfest, et je les ai déjà vu trois ou quatre fois, bien que je trouve ça incroyablement chiant. Encore une fois les prouesses techniques de ces superstars me passent à côté, et j’ai l’impression qu’un tiers de leur morceau est en réalité construit autour du riff de Raining Blood. Gros problème de groove en tous cas, et je m’ennuie ferme en attendant Tool face à la mainstage 1. J’ai quand même été ému lors des adieux sincères et simples du groupe, accompagnés d’un petit feu d’artifice des familles.
Tool > amour que j’ai pour toi
Quand on interroge chaque année les festivaliers pour savoir quels groupes ils veulent voir au Hellfest, parmi les noms qui reviennent les plus souvent il y a Tool. C’était sans doute avec Manowar le concert le plus attendu cette année, et celui qui devait clore en beauté ces trois jours, donc rien d’étonnant à ce que la mainstage soit archi compacte malgré l’heure tardive pour un dimanche soir à Clisson. L’émotion se fait sentir lorsque Maynard James Keenan entame le 1er morceau, sa voix pure et aérienne se mêlant à la nuit et aux exclamations enchantées du public. Grâce à des œuvres visuelles dérangeantes comme du Cool 3D World et poignantes comme du Tool, on aura aussi le droit à la deuxième meilleure utilisation des écrans géant du Hellfest (désolé mais la Maïté géante d’Ultra Vomit a tué le game dès le vendredi). Audio et vidéo sont harmonieusement combinés à un jeu de lumière démentiel, et c’est rare de réussir un show aussi immersif dans un festival en plein air. Entre les tubes, des morceaux plus méconnus sont joués sans que ça nuise aucunement à ce beau moment de communion, et je ne connais hélas pas leur discographie assez bien pour identifier si des morceaux du nouvel album prévu en août sont joués (1er album en 14 ans !). Généralement les groupes l’annoncent avant d’entamer un morceau inédit, mais M. Keenan est plus du genre à fermer sa gueule et à laisser parler la musique. On saluera aussi l’incroyable maîtrise technique et sens du rythme du batteur, ce mec doit avoir 3 cerveaux, 5 oreilles et 8 bras.
Le Hellfest, c’est les autres
Au terme de cet ultime et sublime concert du Hellfest 2019, j’espère un feu d’artifice ou un petit teaser pour l’année prochaine, comme lors des précédentes éditions. Au final il n’y aura rien d’autre qu’une notification de l’appli Hellfest disant sommairement “Merci ! Rendez-vous en 2020“. Je me presse donc silencieusement et un brin amèrement vers la sortie en suivant le mouvement de foule, et j’aperçois chemin faisant que les autres scènes sont déjà en train de se faire démonter. Ambiance cheloue, je vous dis. Cette fin un peu en queue de poisson me refait penser aux propos des sages devant Morning Again ce matin, et à une interview qu’a donnée Yoann Le Névé, cofondateur du Hellfest, au magazine Noise. Il y racontait aussi l’échec d’Integrity et l’évolution du festival, son point de vue étant que ce n’était plus tellement un endroit pour les amateurs de groupes pointus, et que lui-même privilégierait sans doute un autre festival que le sien s’il devait choisir. Cela me donne comme l’impression que le Hellfest, en devenant cette grosse machine qu’on connaît aujourd’hui, a bouffé tout le monde, son public comme ceux qui y travaillent. Je pense que c’est toujours un excellent festival, mais peut-être est-ce juste moins bien qu’avant pour ceux qui y étaient habitués. Des codes sociaux se sont installés (les “apéroooo” et combats de caddie étant devenus traditionnels) et l'”expérience Hellfest” n’est plus exclusive aux trois jours de festival avec l’arrivée du Hellfest Cult, et du bar pérenne Hellfest prévu bientôt à Paris à la place du Dr Feelgood. Tout ceci dilue de fait la liberté créatrice et la spontanéité qu’inspiraient les 1ères éditions. Bien sûr c’est aussi très relatif à l’appréhension de chacun, et l’intérêt premier du festival est encore l’univers bien vivant des nombreux merveilleux artistes qui s’y produisent. Et en faisant le bilan des trois jours que je viens de passer, je me dis qu’on a encore été généreusement servi cette année. En fait le problème c’est peut-être tous ces gens qui donnent leur avis sur ce qu’est censé être ce festival, qui tentent de le définir et de le cerner, de se l’approprier et de le réduire à leur vision des choses. Des journalistes qui écrivent des tartines sur leur expérience personnelle, c’est aussi ça le Hellfest !