20 ans après J’pète les plombs, Disiz la Peste s’impose toujours comme la fine fleur d’un rap qui peine à reconnaître son héritage. En constante métamorphose, le rappeur vient de sortir coup sur coup deux albums réussissant là où d’autres se ramassent : faire le lien entre le hiphop français et la scène américaine actuelle. Disiz not the end.
Lorsque tu as commencé il y a maintenant 20 ans, pensais-tu que le rap serait ta vie ?
Depuis petit, je m’intéressais aux Arts, mais en étant né en banlieue à la fin des années 80, le rap est le seul que je me sentais autorisé à pratiquer. Si j’étais né ailleurs, j’aurais peut-être fait autre chose, comme du dessin, de la littérature ou du cinéma, ce qui est arrivé plus tard.
Après 13 albums et autant de réinventions, as-tu l’impression d’avoir fait le tour du sujet ?
J’ai toujours essayé de me renouveler, d’écouter toutes sortes de musiques, je déteste m’ennuyer et me répéter. Je n’ai jamais eu peur d’essayer, contrairement à d’autres. Mais pour être honnête, je sens que j’arrive à la fin du processus. J’ai forcément moins d’albums devant moi que derrière moi. Je dirais deux ou trois disques, ensuite je me concentrerai sur l’écriture et le cinéma.
Après un Pacifique (2017) très mélancolique, tu reviens un an plus tard avec Disizilla, un disque acide et fier. Cela correspond-il à ton parcours personnel ?
Pacifique était un album de recherche de la paix dans le chaos de ma vie. Disizilla, c’est le réveil après le K.O.. Les deux se complètent et me représentent bien.
Disiz La Peste est-il un personnage public ?
David Bowie ou Lady Gaga, ce sont des rôles à temps plein, moi je joue occasionnellement des personnages ici et là. Par exemple, J’pète les plombs, c’est un personnage qui parle et je grossis le trait.
En parlant de cette chanson, arrives-tu à l’interpréter en te remettant dans l’état d’esprit dans lequel tu étais il y a 20 ans ?
Justement, je joue peu de vieux morceaux, je ne suis pas un juke-box ! Si un jour, je fais une tournée medley de mes succès, tu sauras que c’est fini pour moi (rires). La tournée actuelle est électrique ! J’essaye de m’affranchir de toutes les conventions et des protocoles d’un concert pour que ça parte en vrille. Je veux que le public lâche prise.
La question de la reconnaissance de ton influence revient souvent dans tes textes, te sens-tu lésé à ce niveau là ?
Il y a parfois une exaspération… J’ai créé beaucoup de choses et j’ai souvent lu des articles crier au génie au sujet de gens qui me copient. Peu de rappeurs ont assez confiance en eux pour assumer qu’ils s’inspirent de moi. Les journalistes se permettent parfois des critiques faciles à mon sujet car ils savent que, contrairement à d’autres, je ne vais jamais leur casser la gueule pour un article. Je ne suis pas dupe de cette hypocrisie.
Compose-t-on les morceaux ego trip lorsqu’on est en pleine confiance ou plutôt lorsque l’on doute de soi ?
Je doute de plein de choses, mais je sais qu’en rap, je suis redoutable ! Raconter que je suis le meilleur serait ridicule à mon âge, mais aucun rappeur ne me fait peur !
J’ai l’impression que ta mère est régulièrement présente dans tes textes, c’est important de lui rendre hommage dans tes chansons ?
Bien sûr, même si je ne pense pas que ce soit si récurrent. J’ai été éduqué par une femme seule à la vie terriblement difficile. Le cliché du rap « toutes des putes sauf maman », ce n’est pas ma réalité et je sais que mes proches vont écouter ce que je dis. Je n’ai rencontré qu’une personne forte dans ma vie, et c’est une femme ! Mon père, lui, était un lâche… Les arabes, les juifs, les noirs ont souffert dans l’Histoire, mais pas autant que les femmes !
Est-ce plus facile d’être Disiz aujourd’hui qu’il y a 20 ans ?
Bien sûr ! Quand j’ai commencé, je voulais être le meilleur rappeur de mon quartier, puis de la ville, du pays… Je me suis rapidement retrouvé partout, à la radio, à la télé, je n’ai rien compris… Tout le monde avait un mot à dire sur ce que je faisais ou ce que je devais faire. Je ne savais plus qui j’étais. Je ne l’ai trouvé que récemment (rires). La maladie de ma mère m’a fait comprendre que je n’avais plus le temps de me poser des questions. Aujourd’hui, je fais du Disiz La Peste, tout simplement.
Le rap est la nouvelle variété. À l’instar du rock, n’est-ce pas habituel qu’un mouvement musical subversif rentre dans le rang ?
Les codes et le langage du rap ont imprégné la société comme la société a influencé cette culture. Tu vois aujourd’hui des rappeurs qui assument leur homosexualité et dont la démarche est soutenue par des gens comme Jay-Z. C’était impossible il y a 20 ans. En revanche, je déteste cette tendance du rap qui consiste à n’être que ce que l’on attend de toi, c’est-à-dire dire accepter son sort, les clichés et le rôle que l’on t’impose, celui d’un voyou de banlieue. Je préfère ceux qui prennent des risques.
Penses-tu que ta musique a changé des choses ?
Je ne me fais pas d’illusion, ce n’est pas parce que cinq rappeurs ont réussi que le racisme a disparu. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus ouverts, mais aux dernières nouvelles, ils ne sont pas aux commandes !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud
En concert au festival Hip Opsession le 2/03 à Stereolux (Nantes – 44) avec PLK et Team Punk