Si les femmes se font déjà rares dans les métiers techniques du spectacle, elles se comptent sur les doigts d’une main sur les postes à haute responsabilité. Parmi les rares représentantes de ce profil professionnel, Perrine Carlier est directrice technique depuis plus de vingt ans. De la Villette à Paris la Défense Arena en passant par le Crazy Horse, elle arbore un CV épatant et ne compte pas en rester là.
« Je ne m’éloigne jamais de la scène »
Perrine Carlier a toujours travaillé dans le spectacle. Aujourd’hui, elle a 20 ans d’expérience « offstage » d’abord à la régie, puis à la direction technique. Mais son premier amour reste la comédie musicale : « J’ai débuté par une école de comédie musicale et d’histoire de l’art. J’étais chanteuse, mais en parallèle je faisais de la production d’événements culturels. Je ne m’éloignais jamais trop de la scène ». En 2007, elle intègre Les Formations d’Issoudun et délaisse sa pratique artistique car « une jeune artiste doit bien survivre. J’ai essayé d’être serveuse pendant six mois, mais ça m’était impossible ! Quitte à survivre, autant faire quelque chose qui me plaît intellectuellement ».
C’est dans la régie et la direction technique que Perrine trouve son bonheur : « Organisation, management des équipes techniques, de la sécurité… C’est toujours différent, on n’arrête pas d’apprendre et c’est speed, j’adore ça ». Dans cette voie, Perrine trouve assez vite du travail et ne connaît pas la frustration : « Je n’ai pas choisi ce métier par dépit. La vie d’artiste ne m’aurait peut-être pas convenue. Je serais incapable de jouer le même spectacle tous les soirs pendant des mois… ! ». Son diplôme de régie en poche, Perrine jette son dévolu sur les festivals. Durant neuf ans, elle les enchaîne : Printemps de Bourges, Jazz à Porquerolles, Marsatac, MaMA…
« À la rentrée scolaire de mes filles, la mobilité est devenue impossible »
Lorsqu’arrivent les enfants, « la mobilité n’est plus la même ! Leur père étant aussi intermittent du spectacle, nous ne faisions que nous croiser pour se relayer à certaines périodes de l’année. Ma mère nous suivait sur les festivals avec les petites, mais à la rentrée scolaire, cela devenait impossible ». Contrainte de stabiliser sa situation géographique, Perrine obtient le poste de « régisseur général » au parc de la Villette en 2015. L’intitulé de son métier, elle l’utilise d’ailleurs au masculin : « simplement parce que je trouve que ça sonne mieux, mais ça n’a rien de politique. En revanche, je dis bien « directrice technique » ».
En 2017, elle est choisie pour être directrice technique adjointe de La Villette. Deux ans plus tard, elle remplace son supérieur en arrêt de travail. Elle postule ensuite pour son remplacement sur le long terme « après tout, je faisais son boulot en plus du mien depuis un an ! »), mais sans succès, « le poste a été donné à un mec de 50 ans…». Après quelques mois, elle est repérée par le Théâtre Mogador, spécialisé dans la comédie musicale, qui lui propose sa direction technique. Elle signe un contrat d’un an, mais le Covid s’incruste dans la partie… « Je suis un peu la seule meuf qui quitte un CDI dans le public pour redevenir intermittente trois mois avant une pandémie mondiale (rires) ! ». L’épidémie complique les choses, Perrine passe au chômage partiel et le CDI envisagé se transforme en CDD de six mois.
Au chômage partiel, la Parisienne connaît une période financièrement compliquée qui la pousse à monter sa propre société : La Générale de Régie où elle prend « tout ce qui passait sans faire la fine bouche ! ». Quelques mois plus tard, Perrine se fait à nouveau « chasser », d’abord par le Crazy Horse en tant que directrice artistique le temps d’un bref passage, puis par Paris La Défense Arena en tant que directrice des opérations. Depuis mars dernier, elle y encadre une dizaine de personnes, coordonne l’exploitation des infrastructures techniques de l’établissement, assure l’accueil des clients et de leurs équipes…
« Les parents isolés ne devraient pas tout payer plein pot »
Lorsque Perrine se sépare du père de ses filles quelques années auparavant, « la grosse jonglerie » démarre et tout se complique : l’organisation, le budget… Occasionnellement formatrice, elle aborde beaucoup l’équilibre à trouver entre la vie professionnelle et personnelle : « Je demande toujours trois choses aux étudiantes qui sont mamans : si elles ont de la famille à côté, si leur conjoint·e assure et si elles ont des ami·es qui peuvent les aider. Si la réponse est non aux trois questions, autant lâcher l’affaire ! À moins de gagner 6 000 euros par mois… »
En tant que mère isolée, Perrine le sait, le budget peut vite être très serré : « lorsque je me suis retrouvée seule, je gagnais 2 400 euros avec 1 200 euros par mois en frais de nounou. Nous représentons quand même 25% de la population à être des parents célibataires, il faut qu’on arrête de tout payer plein pot ! C’est injuste alors que nous générons beaucoup d’économie locale ! ».
« On m’a déjà refusé un poste sous prétexte que je suis jeune maman »
Au travail aussi, Perrine a fait face à des difficultés liées à son genre et à son statut de mère. « Je n’ai jamais été victime d’abus dans mes équipes, mais parfois de la part des directions… On a voulu me faire effectuer des tâches dangereuses, j’ai subi des menaces et du harcèlement en cas de refus. Lorsqu’on m’a attribué trois postes en un, j’ai demandé une augmentation et l’on m’a répondu de « trouver un mec ». Un poste m’a aussi été refusé sous prétexte que je suis jeune maman… Heureusement, ce n’est plus le cas aujourd’hui ».
Au quotidien, elle encadre essentiellement des hommes. Et même sans difficulté majeure, Perrine le sent, il faut « prouver sa compétence, trois fois plus ! Mais j’ai de la chance, j’ai une grosse voix, je suis grande et grande gueule… ça m’aide ! ». Après vingt ans d’expérience dans le milieu du spectacle, Perrine voit quand même la situation évoluer dans le bon sens : « je vois de plus en plus de femmes, mais cela reste encore concentré sur des « missions de mamans » : l’accueil artiste, le catering… Je crois que nous ne sommes que deux directrices techniques à Paris ! ».
Malgré quelques mauvaises expériences, Perrine se félicite d’avoir su rester intègre : « Après deux décennies, je peux toujours me regarder dans la glace, jamais je n’ai renié mes valeurs. Je reste proche de mes équipes et à l’écoute car on ne laisse pas ses problèmes à la porte du bureau le matin. Je crois même que le travail peut sauver ».
« Je me donne trois ans pour savoir où je veux aller »
Le « petit terrain de jeu » de Perrine accueille jusqu’à 43 000 personnes sur des évènements allant de concerts de Pink ou des Who à des matchs de rugby, des courses de motocross… « On est ce qu’on appelle un GEEM (Grand Établissement à Exploitation Multiple). Il n’y en a que huit en France, dont le Stade de France. On est la plus grosse enceinte couverte d’Europe. Globalement, c’est l’équivalent de deux Bercy ». En 2024, l’établissement se transformera même en piscine olympique pour les JO. Perrine y voit une fenêtre pour concrétiser un projet qui lui trotte en tête : créer son propre spectacle « dès que possible ». Il ne lui manque « qu’un peu de temps » qu’elle n’a pas pour l’instant : « Après les Jeux Olympiques, j’espère pouvoir me poser pour écrire mon spectacle ! ». Perrine envisage un cabaret « avec du stand up, chant, avec des artistes associé·es… Quand je travaillais au Crazy Horse, j’ai vu ce travail d’orfèvre qui m’a beaucoup inspirée ».
Mais ses envies ne s’arrêtent pas là ! Si elle n’avait pas reçu la proposition à la Défense, elle aurait « peut-être essayé le cinoche ! Je songeais même à faire une formation d’assistante réalisateur·rice ». Aujourd’hui, Perrine est en CDI mais ne ferme aucune porte : « je me donne trois ans pour savoir où je veux aller, quitte à peut-être rester ici ! ». Originaire du Sud-Ouest, Perrine pense sûrement y retourner un jour, et si son projet artistique n’aboutit pas, elle se voit peut-être dans l’humanitaire ou la création de gros événements comme « Le Paris Dakar ou le Vendée Globe… Bref, du gros, du lourd ! ».
PORTRAIT RÉALISÉ PAR LOUISE PLESSIER, Tracass Asso et Le Ferrailleur dans le cadre du festival More Women On Stage & Backstage à Nantes, grâce au soutien de M45T, E.leclerc Clisson, Hurricane Music, Filling Distribution, Constant Bourgeois, Mstream et la Ville de Nantes.