« Il faut donner du temps au temps », un conseil que le groupe normand a suivi à la lettre après l’éreintante tournée qui a suivi le succès de Be Your King, premier album de la formation caennaise sorti en 2012. Six ans plus tard, Concrete Knives revient avec Our Hearts, un disque pop aussi fédérateur que musicalement dense. Rencontre avec Morgane Colas, chanteuse du groupe.
Il s’est passé six ans entre la sortie de votre premier album et celle d’Our Hearts. Il est rare de prendre autant de temps, aujourd’hui. La composition de ce disque a-t-elle été compliquée ?
Il nous a fallu du temps pour trouver les ressources et l’inspiration. Nous avions beaucoup écrit durant la dernière tournée, mais nous composions des choses très dures, très sombres, qui correspondaient à ce que nous vivions à l’époque. Tout le monde ne s’y retrouvait pas, nous étions trop à vif, cela a pris un moment pour évoluer vers quelque chose de plus paisible et positif, revenir à l’essence du groupe qui nous fédère.
L’exposition d’une chanson comme Brand New Start (issue de votre premier album) qui a été utilisée dans de nombreux films, bandes-annonces et publicités vous a-t-elle mis la pression ?
Je n’ai pas de télévision, donc je ne l’entends jamais, mais mes amis m’en parlent ! C’est assez étrange comme exposition car les gens connaissent ce morceau mais pas le groupe. L’artiste n’est évidemment pas mis en avant dans ce genre de publicité car c’est un produit qui est vendu. Et rares sont ceux qui font la démarche d’aller chercher le nom du groupe derrière la chanson utilisée.
N’était-il pas tentant d’essayer de réitérer l’exploit sur ce deuxième album ?
Ce serait catastrophique de céder à cela ! Nous n’avions pas imaginé un instant que cette chanson serait utilisée de cette façon. Nous l’aimons et économiquement, c’est un morceau qui nous a permis d’être libres, de produire nous mêmes notre musique, nos clips. Mais lors de la composition d’Our Hearts, dès que quelqu’un du label nous disait « ce sera votre prochain Brand New Start », on ne pouvait pas s’empêcher de pervertir la chanson et de l’emmener dans une autre direction.
Si Our Hearts est plus orienté vers les musiques du monde et l’expérimentation, votre science de la pop est toujours bien présente.
C’est lié à notre culture musicale qui confronte musique pointue, voire élitiste, et pop. Sur ce disque on a essayé de laisser plus de place aux membres du groupe qui souhaitaient expérimenter.
Quelle est ta définition d’une chanson pop parfaite ?
C’est une chanson avec une mélodie qui va te provoquer directement des émotions et qui a aussi un message universel. Ce n’est pas pour rien que la plupart des grandes chansons pop ne parlent que d’amour, tout le monde est concerné (rires). Pour moi, il n’y a pas de format pré-établi. Ces fameuses « 3 minutes » sont un modèle imposé par les radios qui est entré dans notre quotidien, mais une bonne chanson peut durer bien plus longtemps.
L’amour est-il un de vos sujets de prédilection ?
Personnellement, les dessins que je fais à côté parlent beaucoup d’amour, mais je serais incapable d’écrire une chanson sur ce sujet. Nos chansons correspondent à des histoires. Une de nos thématiques récurrentes est la dualité, le jour et la nuit, etc. Les textes naissent de la relation que j’ai avec Nico, fondateur du groupe. Il écrit la musique et les rythmes, moi je m’occupe du langage. Nous essayons de mettre ensemble des mots sur ses émotions.
Avec le retour de la langue française dans la pop, avez-vous pensez à décrire ces émotions dans la langue de Molière ?
Effectivement, on voit nos « compatriotes » contemporains revenir au chant français. Même s’il y a de très belles choses, c’est pour nous une forme de repli sur soi. Nous avons commencé le groupe dans un contexte très européen avec une volonté de regarder le monde qui nous entoure et de pouvoir lui parler, d’où le choix de l’anglais.
Justement, cette possibilité de parler au public, à transmettre des émotions, à chanter et à en faire un métier était-elle un rêve ?
Mon père était animateur de karaoké, la musique n’était pas du tout un rêve ni un métier, plutôt quelque chose de familial et festif. Je ne chantais pas devant la glace (rires). Lorsque j’étais étudiante aux Beaux-Arts de Nantes, je produisais des performances artistiques et musicales, mais on était loin du format pop. Nico, lui, a grandi à Flers, une ville enclavée où, pour t’en sortir, soit tu fais de la musique, soit tu fais de la musique (rires). En 2010, lorsque Concrete Knives s’est séparé de sa première chanteuse, je préparais le cathering du groupe. Il m’a demandé si je connaissais une chanteuse, j’ai répondu que je voulais bien essayer, « pour dépanner » (rires).
À l’époque de Be Your Own King, vous étiez à la fin de votre adolescence. Six ans plus tard, vous êtes maintenant des adultes. Est-il important qu’Our Hearts reflète votre « maturité » ?
Le premier album était effectivement très pur. Brand New Start était justement la dernière chanson composée pour ce disque. Elle parle du fait que nous voyions les claques arriver. D’ailleurs, on les a prises (rires), c’est pour cela que nos nouveaux morceaux étaient très douloureux. Certains groupes auraient pu les garder tels quels, mais après ce qu’on avait vécu sur la route, nous avions besoin de remonter sur scène avec le sourire. Avec Our Hearts, on a recherché l’apaisement, c’est un mot que je préfère à « maturité ».
Quelle est l’ambition de produire un album aujourd’hui quand des centaines de disques sortent chaque semaine ?
Parce qu’on a besoin de ranger les choses (rires), d’imprimer ce que l’on a vécu à un moment donné. L’objectif est de créer un monde avec des chansons, comme des petites îles qui formeraient un archipel. Et puis, si tu ne fais pas de disque, c’est compliqué de trouver des concerts. Cela fait de l’actualité pour les médias et les programmateurs ont besoin de savoir à quoi va ressembler ton show.
Pour finir, notre question rituelle, comment réagis-tu lorsque, pour te faire plaisir, quelqu’un passe une chanson à toi en soirée ?
Je ne me cache pas sous la table, mais j’ai la chance d’avoir des amis qui ont la délicatesse de ne pas le faire (rires) !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud.