VENDREDI 22 JUIN
Âge tendre et gueule de bois
Après un jeudi mouvementé, le réveil sous la tente est difficile. J’ai du caca dans la bouche, des turbines dans le crâne, et une grande envie de retrouver mon lit douillet, loin de tous ces métalleux qui font trop de bruit et qui sentent mauvais. Un début de journée de Hellfest somme toute classique, qui enchaîne traditionnellement avec une élimination des toxines pendant quatre heures, un petit footing sur le camping en n’oubliant pas les talons-fesses, une séance de katas face à la statue de Lemmy, une powernap de huit heures, et l’ingestion de douze kilos de brioche avant de faire sa toilette pour partir à l’assaut de la musique du démon.
Ayant cette année la chance de disposer d’un pass presse, je découvre le nouveau coin VIP du festival, dont j’ai déjà vu circuler quelques photos l’année dernière. Il y a une fontaine, une piscine, des plantes vertes, des chiottes avec de la vraie eau et non de la sciure, un sublime bar à voûte en os, un écran géant pour qu’on puisse voir les concerts des mainstage sans se mêler à la plèbe et surtout un coin presse avec des ordinateurs, bien utiles pour écrire des reports (par exemple). On y trouve aussi un stand de restauration vendant des salades fraîches, des dos de saumon, des tartares de boeuf, ainsi que des tartelettes et fruits frais. Encore en mode détox, j’opte pour une mini salade de quinoa en regrettant amèrement d’avoir bu autant de Whisky-Sojasun la veille. Une fois rassasié, rafraîchi et enchanté par la douceur de cet espace VIP, il est enfin temps d’aller voir quelques groupes de musique jouer de la musique.
Subtilité ou café
À peine sorti du VIP, je m’installe sous la Valley où Céleste doit se produire d’une minute à l’autre. Je connais juste le groupe de nom car une petite hype le précède, mais je ne suis pas déçu de la découverte. Le concert commence par un gros blast satanique à double pédales ras de cale, ce qui est une parfaite entrée en matière des 3 jours à venir. Je crois même que ça a tout à fait fini de me faire dessaouler pour me faire entrer de plain pied dans le festival. L’atmosphère sombre et poisseuse qu’ils projettent aurait certainement mieux fonctionné de nuit, mais le groupe a le mérite de nous choper direct et de ne quasiment jamais nous lâcher, enchaînant les morceaux sans pause pour les applaudissements et autres youyous. Ou alors leurs morceaux sont juste très longs, impossible de savoir avec les jeunes groupes de nos jours… (c’était mieux avant).
À la fin de ce premier concert, requinqué comme pas deux, je file à la Warzone assister à quelques morceaux des punks de Seven Hate, avant de revenir m’installer dans la Valley pour Bongzilla, dont on m’a dit beaucoup de bien. Je déchante vite car ce mélange de stoner et de doom est un peu trop indigeste pour moi et je m’échappe donc à nouveau voir Converge. Cependant, force est de constater qu’être en mainstage ne sied pas forcément à ce groupe de hardcore culte : un vent de gueux rend le son imprécis et la belle énergie frontale déployée par le groupe se perd en partie dans les airs. Pas de déconvenues devant la Warzone pour les Burning Heads, vétérans du punk français qui fêtaient leurs 31 ans d’activité pour l’occasion. Invité par l’ambiance à laisser mes neurones de côté, j’en profite pour tester quelques pas de pogos dont j’ai le secret, avant d’enchaîner directement avec le metal tout aussi décérébré de Meshuggah. Malheureusement je fais une overdose de bleuaaaarrrhhh au milieu de leur set et erre ensuite sur le site du festival, à la recherche d’un oasis de poésie, de quelques mélodies cristallines et peut-être même d’un peu de douceur…
“C’est devenu Disneyland !”
Je trouve rapidement mon bonheur en faisant enfin le tour des créations visuelles imaginées pour le site clissonnais. Le nouveau bar Mainstage est sublime et crache de la fumée, l’installation d’un mur d’eau sème la joie, l’émerveillement et l’hydratation chez les festivaliers, et je ne me lasse pas de redécouvrir les œuvres d’art déjà présentes les années précédentes. Le site n’a jamais eu autant de gueule, et je bénis encore une fois les organisateurs d’avoir réussi à créer une telle merveille. D’autant que je reviens tout juste du Download, qui essaie en vain de recréer l’aspect Mad Max du Hellfest avec des tas de pneus. Seul bémol peut-être : le pavage des Mainstage et de la Warzone, voulu car quelques personnes se sont plaintes de la poussière soulevée lors des concerts, endommage clairement l’ambiance bon enfant du festival. Je ne sais pas si quelqu’un tient des stats là-dessus, mais je suis prêt à parier que le nombre de “pogos” et autres “slams” va diminuer drastiquement sur ces scènes, sol en pierre oblige. À force d’en faire toujours plus, le Hellfest lui-même ne va-t-il pas un jour prendre plus d’importance que ses festivaliers ? Cette année en tous cas, un léger sentiment d’oppression se fait ressentir : de retour au campement après Meshuggah, j’apprends que nos tentes ont été bougées par des bénévoles afin de libérer de l’espace pour les nouveaux arrivants. Si je peux comprendre la logique derrière la manœuvre, il n’en reste pas moins la sensation d’être traité comme du bétail qu’on tasse pour en faire tenir le maximum dans un enclos. J’apprends aussi que les caddies sont dorénavant “interdits” sur le camping, alors que chaque année d’épiques combats de caddies nocturnes faisaient la joie des petits et des grands. Vous verrez que bientôt ils empêcheront les sacrifices humains du Yellow Camp…
50 nuances de vin rouge
Je chasse mes sombres ruminations avec une Leffe 9 et file voir Svinkels, dont la présence au Hellfest divise. Si mes infos sont exactes, c’est le 1er groupe authentiquement hip-hop à jouer au Hellfest, ce qui fait rager certains métalleux purs et durs. J’en ai vu un, curieux, se barrer du concert dès l’instant où Gérard Baste a commencé à rapper. Fort heureusement le Svink a le même esprit joyeux beauf autodestructeur que 99% des festivaliers, et la connexion avec le public de la warzone se fait rapidement. En plus des 3 MCs et de DJ Pone, deux guitaristes, dont Waxx, viennent électriser leur prestation. On aura aussi droit à un Cereal Killer posé sur du Metallica, mais en dehors de ça, les Svinkels font du Svinkels sans se travestir. DJ Pone casse tout en balançant l’instru de Dans le Club en mode marteau piqueur et tout ce beau monde a l’air très heureux d’être là. C’est avec un sourire jusqu’aux oreilles que je quitte la warzone pour le mainstage : direction Hollywood Vampires juste pour pouvoir dire un jour à mes arrières petits-enfants que j’ai déjà vu Johnny “l’empaleur” Depp sur scène.
Je chope Jojo et Alice Cooper en plein milieu de la reprise d’un tube country bien mièvre et mou (avec Johnny au chant) et le punk qui s’était réveillé en moi y’a pas deux minutes se rendort aussitôt. Les papys rockeurs font peine à voir et leurs âmes se sont sans doute dissoutes dans les hectolitres de whisky coke coke qu’ils ont ingérés. C’est du whisky coca à la coke, et c’est dégueulasse.
J’ai ensuite assisté à un concert de Bad Religion, mais comme ils n’ont pas joué I Want To Conquer The World j’ai décidé de bouder.
Heureusement A Perfect Circle vient me réconcilier avec l’humanité. Dernier groupe à jouer sur les mainstages ce vendredi, ils nous offrent aussi le plus beau concert de la journée. La pureté sans faille de la voix de Maynard James Keenan devrait être inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, juste à côté des délicieux yaourts au soja de la marque Sojasun. Mon vigneron sûr me fait frissonner de bonheur, et la foule communie sereinement une heure durant. La fatigue me permet de conserver ce sentiment de plénitude jusqu’à ma tente, où je m’écroule sans demander mon reste, engloutissant vite fait une salade au thon en conserve avant d’éteindre mon cerveau. Une seule pensée m’agite avant que mon esprit ne parte vagabonder au pays des rêves : demain, les choses sérieuses commencent !