Réalisateur de Mammut, Avida ou Le Grand Soir, « reporter » dans Groland sous le pseudonyme de Michael Kael , ancien auteur des Guignols de l’Info, écrivain (Grabuge, sorti en 2002, coécrit avec l’entarteur Noël Godin), Benoît Delépine est invité au SoFilm Festival. Il était impossible de louper l’occasion d’interview un des héros du cinéma français, et bien plus !
L’idée de faire du cinéma était-elle dans votre tête depuis le début de votre carrière ?
Je n’ai jamais eu l’envie d’être réalisateur, c’est mon goût pour les aventures collectives qui m’a amené au ciné ! Il y a plus de dix ans, avec Gustave (ndlr : partenaire de Groland avec qui il réalise ses films), on avait fait construire une tartapulte, un lance-tarte géant qu’on voulait utiliser sur un hôtel bruxellois où les grands patrons européens se retrouvaient. On s’est dit qu’il était dommage de ne pas mettre une caméra dans notre aventure. J’aime partir à l’attaque !
Votre relation avec Gustave de Kervern est assez rare, vous verriez vous réaliser un film tout seul ?
Tout seul, tu peux rester sur une mauvaise idée pendant longtemps, voire des années. Là, on n’a même pas besoin que l’autre dise « non », on voit dans ses yeux que c’est de la merde !
Votre cinéma parle souvent du terroir, des ouvriers, venez-vous de cette culture ?
Mon père était agriculteur. Les personnages de nos films, ce sont des gens que l’on a rencontrés dans nos vies. Les histoires avec le vin et les filles sont des choses que l’on a vécues. Comme toute activité artistique, le ciné permet de répliquer son ADN autrementqu’en faisant un enfant (rires) !
Vous avez tourné plusieurs fois avec Gérard Depardieu ou Benoît Poelvoorde, deux des comédiens francophones les plus intenses du cinéma. Vous vous retrouvez chez eux ?
Ils sont extraordinaires ! Nous, on vient d’un milieu populaire, on veut des gens qui sont encore dedans. Même si Depardieu est déjà starifié, il a un fond très « popu ». Ils ont une faille qu’il n’y a pas chez les bourges.
Comment arrivez-vous à convaincre un acteur comme Depardieu qui ne tourne quasiment plus ?
Ça ne se joue à rien ! Il n’avait jamais vu Groland, mais c’était réglé en 15 min dans son restau. Le mec nous a juste reniflés !
Comment dirige-t-on ce genre d’artistes très instinctifs ?
On essaye de les mettre à l’aise. Les acteurs essayent de nous le rendre genre « allez, on va être sympa avec les deux gus » (rires !). Poelvoorde, avec un seul regard, il peut résumer un an de vie en 2 secondes. Contrairement à ce que certains pourraient croire, Gérard n’est jamais bourré sur un tournage ! Tant mieux parce qu’on l’a déjà vu saoul et c’est ingérable… C’est plus dur avec les acteurs non professionnels, des ouvriers du coin qui n’ont pas forcément envie de le faire si ce n’est pour nous aider. C’est assez beau, d’ailleurs !
La plupart de vos films sont des road trip, est-ce conscient ?
J’ai l’impression qu’à chaque fois on essaye de changer notre fusil d’épaule. Mais ça reste le même fusil et les mêmes épaules (rires !). En terme scénaristique, c’est vieux comme le monde : La Bible, Jésus, Don Quichotte… Il n’y a pas de limites lorsque tu pars en voyage.
Dans une interview, vous déclariez qu’être « ivre et amoureux est scientifiquement la même chose ». Pourquoi l’alcool est-il si présent dans votre cinéma ?
Aujourd’hui, on a arrêté de boire, mais ça été quelque chose d’important dans nos vies. On peut en parler sans faire la morale. Le sujet fait peur ! Dès que tu sors un film là-dessus, c’est un bide.
Vos films font beaucoup d’entrées malgré leur côté parfois « expérimental », comment l’expliquez-vous ?
On a de la chance ! Je crois que Groland a fait que nos films ont été accueillis avec bienveillance. J’espère que Saint-Amour passera un jour à 20h30, c’est pour ça qu’on l’a financé avec France 2 et pas Arte. Mais tu ne peux pas lutter contre les parcs d’attractions que sont les films américains. Plutôt que de
réaliser un sous-parc d’attractions, on se dirige vers quelque chose de plus « palpable ».
Le cinéma doit-il révéler une vérité ?
Ce n’est que ça ! La vérité est la pierre angulaire de toute œuvre d’art.
Pour le SoFilm Festival, vous présentez L’Âge d’Or de Buñuel et Dali, quel rapport avez-vous avec ce film ?
C’est un chef d’œuvre artistique, la vérité absolue, un gigantesque cauchemar. On aurait dû interdire de faire des films après celui-là (rires) !
Concernant Groland, vous n’éprouvez pas une lassitude après 25 ans ?
On se fait toujours rire les uns les autres et nous sommes restés une bande pirate ! Le principe de l’humour, c’est l’inattendu. Il faut se surprendre soi-même. Parfois j’éclate de rire sur mon vélo en regardant un mec qui me donne une idée pour Groland. Ce sont des petits moments de bonheur.
Quel est votre point de vue sur ce qu’il se passe à Canal+ ?
Ça me fait tripper ! Tous les matins, je tape « groland » sur Google pour voir si on s’est fait virer (rires). Après, nous sommes une république indépendante, on s’occupe peu de ce qu’il se passe chez notre diffuseur français (rires).
Interview réalisée par PIERRE-FRANÇOIS CAILLAUD