À l’occasion de la sortie vendredi dernier du Macbeth de Joel Coen, son premier film réalisé sans son frère Ethan, on s’est dit chez Grabuge que c’était un bon prétexte pour faire un classement, parfaitement subjectif et non définitif, des 19 films réalisés par les deux frangins du Minnesota.
Vous êtes consternés par le choix de la première place ? Votre favori est trop bas dans le classement ? Ce n’est pas bien grave et pour vous consoler, imitez donc notre ami Anton Chigurh, faites-vous un grand verre de lait.
19 – Ladykillers (The Ladykillers), 2004
Véritable naufrage, cette commande de remake du film d’Alexander Mackendrick n’a franchement rien à offrir. Seule collaboration avec Tom Hanks de toute leur filmo, cette histoire de braqueurs bras cassés dans le Mississippi baptiste, flirte avec le mauvais goût et le grotesque. Un passage à vide lors duquel Joel et Ethan Coen sauront rebondir en réalisant trois ans plus tard l’un de leurs plus grands films.
18 – Intolérable cruauté (Intolerable Cruelty), 2003
Premier film de commande des deux frères qui commettent ici une romcom sans éclat. Une comédie de remariage dans laquelle Clooney cabotine dans ce rôle d’avocat spécialisé dans les divorces. Certes, Catherine Zeta-Jones est plutôt convaincante en vamp vénale, mais le tout manque singulièrement de férocité et de leur ironie mordante habituelle. Dispensable.
17 – Avé, César ! (Hail, Caesar!), 2016
Hommage à l’Âge d’or hollywoodien sur fond de maccarthysme, cette comédie satirique pourtant soutenue par un casting cinq étoiles, à l’exception du terne Alden Ehrenreich, ronronne et propose un spectacle inégal et sinon assez ennuyant. Malgré un charme indéniable, cette succession de sketchs nostalgiques et parfois touchants, ne tient pas toutes ses promesses.
16 – Burn After Reading, 2008
Les Coen conclut leur “trilogie des Idiots” avec une comédie d’espionnage absurde au ton léger. Une réalisation plutôt anecdotique surtout prétexte à une utilisation à contre-emploi de sa truculente distribution : Clooney en espion alcoolique obsédé sexuel et surtout Brad Pitt, délicieusement ridicule en fanatique du fitness pris dans un imbroglio de la CIA. Une œuvre mineure, mais sympathique.
15 – Macbeth (The Tragedy of Macbeth), 2022
Première réalisation de Joel sans son frère, qui se consacre désormais au 6ème art, pour un film justement adapté de Shakespeare. Une version en noir et blanc de Macbeth, dépouillée et minimaliste, emmenée par un Denzel Washington des grands jours dans le rôle titre. Une adaptation formellement superbe mais aussi très austère et qui manque cruellement de chair et de rythme. Un plaisir d’esthète prétentieux et un peu vain.
14 – True Grit, 2010
Plus gros succès financier de leur carrière (produit par Spielberg !) et première incursion dans le genre du western avec cette adaptation d’un roman déjà porté à l’écran en 1969. Malgré son réjouissant casting, Jeff Bridges en marshal bougon et Matt Damon en ranger benêt pour assister la jeune Hailee Steinfeld dans sa quête vengeresse, le duo nous offre un divertissement, certes plutôt efficace, mais qui reste assez convenu par rapport au reste de leur filmographie.
13 – Arizona Junior (Raising Arizona), 1987
Après un premier film marquant dans le genre du polar noir, les deux frères souhaitent aller à l’opposé en réalisant un film loufoque autour d’une histoire de kidnapping d’enfant. Une alternance entre les deux genres qu’ils vont poursuivre tout au long de leur carrière. En résulte une comédie potache à la lisière du cartoon mais qui manque encore de liant et de personnalité. Mention spéciale pour un Nicolas Cage, encore à peu près soft à l’époque, au look impayable.
12 – The Barber (The Man Who Wasn’t There), 2001
Alors qu’ils avaient jusqu’ici réalisé des pastiches ou des relectures modernes du genre, les natifs de Minnepolis abordent enfin le film noir au premier degré, pour la seule et unique fois de leur carrière à ce jour. Noir et blanc somptueux avec son lot de clairs obscurs expressionnistes, voix off rocailleuse de Billy Bob Thornton et intrigue des années 40 basée sur des quiproquos, tous les motifs du genre sont convoqués. Du reste, les Coen y ajoutent leur traditionnelle amertume mâtinée d’une certaine mélancolie.
11 – O’Brother (O Brother Where Art Thou?), 2000
Road movie parodique de l’Odyssée ayant pour cadre la Grande Dépression, le cinéaste bicéphale réalise, une fois n’est pas coutume, une comédie dénuée de noirceur. Ici, Clooney, qui rejoint pour l’occasion la grande famille des Coen, embarque ses comparses évadés du bagne dans un périple à travers le Mississippi. Sur une photo saturée de Deakins et porté par une BO qui fait la part belle au blues et aux worksongs, le film constitue une fable légère et familiale.
10 – La Ballade de Buster Scruggs (The Ballad of Buster Scruggs), 2018
Prise de guerre de Netflix, les frères Coen retournent au western après True Grit en faisant ce détour par la plateforme. Film à sketches au résultat évidemment inégal, cette ballade, imaginée comme une succession de contes tantôt burlesque et macabre, est un évocation du western des origines. Photographiée avec talent par Bruno Delbonnel, une œuvre rafraîchissante, ni crépusculaire ou iconoclaste comme le genre en regorge depuis quelques années, mais un joyeux pot-pourri des récits et motifs qui ont fait la gloire passée de l’Ouest sauvage au cinéma.
9 – Le Grand Saut (The Hudsucker Proxy), 1994
Coécrit avec leur coloc Sam Raimi après le succès de Blood Simple, la première production importante du tandem est un bide monumentale au box-office. Pour autant, il s’agit d’ une comédie sociale conduit sur un rythme hystérique façon screwball comedy. Tim Robbins, modeste employé gaffeur se retrouve propulsé à la tête du CA d’une multinationale et invente… le hula hoop. Face, puis avec lui, Jennifer Jason Leigh est jubilatoire en journaliste garçon manqué. Un hommage des frangins au cinéma de Capra, éclairé par un certain Roger Deakins.
8 – A Serious Man, 2009
Projet autobiographique et relecture du mythe de Job dans laquelle un prof de physique (le trop rare Michael Stuhlbarg) est confronté à une avalanche de problème. Une série de paraboles existentielles inspirée du judaïsme qui synthétise toutes les thématiques du cinéma des Coen. Métaphysique mais toujours très drôle, avec ses rabbins cryptiques et sa scène de bar mitzvah défoncé, probablement l’un de leur film les plus abouti et personnel.
7 – Sang pour sang (Blood Simple), 1984
Comme le dit l’expression consacrée, coup d’essai, coup de maître avec ce premier film du duo du Minnesota. Dans ce polar moite tendance deep south, inspiré des livres de Raymond Chandler, la novice et future muse des cinéastes, Frances McDormand fuit un privé lancé à ses trousses par son mari jaloux. Personnages de losers de l’Amérique profonde, humour noir, mise en scène au cordeau et photographie léchée de Barry Sonnenfeld, tout est déjà là.
6 – Inside Llewyn Davis, 2013
Énième célébration des perdants magnifiques dans leur cinéma qui en compte déjà beaucoup, ce road movie mélancolique nous narre les déboires d’un Oscar Isaac, très convaincant, en chanteur de folk raté. Suffisant et malchanceux, il arpente New York et l’Amérique des 60’s avec son chat à la recherche d’un producteur et rencontre notamment Justin Timberlake et Adam Driver pour une scène d’enregistrement hilarante. Sublimé par la photo sépia de Delbonnel, ce périple intimiste touché par la grâce, est sans doute l’une de leurs œuvres les plus émouvantes.
5 – The Big Lebowski, 1998
À nouveau une adaptation très libre de Chandler (Le Grand Sommeil), tant ce pastiche de film noir s’éloigne du roman et du classique d’Hawks. Après Fargo, les frangins, en état de grâce, enchaînent les films cultes. À Los Angeles, le Dude (Jeff Bridges), un amateur de bowling aux yeux rougis, se retrouve dans un inextricable quiproquo et croise une galerie de personnages hauts en couleurs : Walter, Jesus Quitana, des nihilistes allemands et bien d’autres, à la recherche de son tapis. Désopilante, cette comédie résume tout le savoir-faire du tandem : mise en scène inventive, distribution au diapason et des dialogues jubilatoires.
4 – Miller’s Crossing, 1990
Pour leur troisième long, les Coen optent pour une nouvelle adaptation du Yojimbo de Kurosawa, transposé ici dans l’Amérique de la Prohibition où des chefs mafieux irlandais et italiens s’affrontent pour le contrôle d’une ville. Un néo-noir élégant avec sa brochette de personnages intriguant et archétypaux, Gabriel Byrne et John Turturro en tête, mené sur un rythme lancinant aux accents oniriques. Dense et métaphysique mais toujours avec un vrai sens de l’absurde dans le texte et la mise en scène. Bref, un sommet.
3 – Barton Fink, 1991
Film sur le syndrome de la page blanche écrit en trois semaines durant une pause sur l’écriture de Miller’s Crossing, que le président du jury cannois Polanski adore au point de lui décerner quasi tous les prix. Un huis-clos dépouillé, porté par un John Turturro génial et bien accompagné par des seconds rôles savoureux et habitués des frangins (John Goodman, Steve Buscemi). Surréaliste, le film est une satire sur la machinerie hollywoodienne qui broie ses auteurs. Le plus cryptique, mais sans doute aussi le plus poétique.
2- Fargo, 1996
Peut être leur film le plus populaire et l’une de ces rares œuvres capables de réconcilier la critique et le public. Tourné dans leur l’État natal avec la troupe habituelle (Frances McDormand, Steve Buscemi et Peter Stormare) les cinéastes signent un polar neigeux et sordide. Son duo de tueurs truculents adeptes du broyeur à végétaux, ses flics bras cassés et leur cheffe astucieuse, tout participe à faire de cette histoire rocambolesque un classique de la comédie noire. C’est aussi un sensible portrait de femme doublé d’une implacable réflexion sur la condition humaine.
1 – No Country for Old Men, 2007
Miroir de Fargo produit à dix d’écart, cette adaptation du roman de Cormac McCarthy, représente un sommet de virtuosité dans les filmographie des frères. Exercice de style, âpre et violent, le film évacue toute trace d’humour et est vierge de toute partition musicale. Une rencontre au summum entre Josh Brolin et Javier Bardem, qui rejoint instantanément au panthéon les plus grands antagonistes du 7ème art avec son carré à la Mireille Mathieu. Un chef-d’œuvre qui accumule les morceaux de bravoure, avec en point d’orgue, une scène de fusillade d’anthologie dans un motel.