Véritable passion enterrant le vin traditionnel pour les uns ou « lubie de bobo » pour les autres, le vin naturel s’installe de plus en plus sur les comptoirs. Pour en parler, Grabuge se branche sur Radio Jaja avec Nicolas Bersagol. Cet ex-Parisien s’installe à Nantes en 2013 pour monter le restaurant Les Charbonniers, puis sert deux années chez Madame Rêve pour enfin créer le bar-restaurant-cave Maison Jaja qui fêtait en grande pompe son deuxième anniversaire l’été dernier.
Tout d’abord, pourquoi avoir monté Maison Jaja ?
J’en ai eu assez des bars, j’avais envie d’avoir la main, d’être 100% responsable du succès ou non du lieu dans lequel je travaillais, mais surtout d’apprendre chaque jour. En l’occurrence, le vin constitue un puits sans fond d’apprentissage. Je me suis formé, j’ai travaillé dans les vignes, fait le tour des domaines, puis cherché trois ans cet endroit. Je suis entretemps tombé amoureux du vin naturel, je peux en parler toute la journée, ça me fait vibrer, comme de la musique. Je me considère un peu comme un collectionneur de vinyles qui cherche des pépites pour les partager avec d’autres.
La notion de « vin naturel » s’avère parfois floue pour le public, peux-tu définir ce vin ?
Déjà, on confond souvent vin bio et vin naturel ! Le vin bio consiste à ne mettre aucune chimie (désherbants, fongicides…) lors de la culture et l’élevage du raisin. En plus de cela, le vin naturel, lui, ne comporte aucun sulfite. Tous les vins naturels sont bios, mais pas le contraire. À l’opposé des vins traditionnels où l’on joue parfois au petit chimiste en rajoutant du sucre quand il est trop vert ou de l’eau lorsqu’il est trop fort, le vin naturel ne triche pas ! Il résulte de ce que la terre a voulu nous donner. C’est un travail méticuleux, tout doit être sain en amont. Ce sont aussi des vins honnêtes, vibrants et intéressants dans lesquels chaque vigneron s’exprime. Il y a autant de vins naturels que de vignerons.
Ce processus est-il une nouveauté ?
Il a toujours existé, jusque dans les années 50 où l’on a redéfini les parcelles de toute la culture en général avec l’arrivée des machines (qui ont fait apparaître tous les champs en forme de carré pour rationaliser le travail des engins) et des produits phytosanitaires. Notre manière de consommer et de produire a alors complètement changé. Au début, tout allait bien, il n’y avait pas besoin de mettre beaucoup de chimie, mais cela fonctionne comme les antibiotiques, plus on en prend, plus il faut en prendre ! La terre s’est habituée, s’est fanée, les produits sont alors devenus moins bons.
Quand le déclic est-il survenu ?
Dans les années 70, certains vignerons du Beaujolais ont commencé à produire du vin naturel, mais c’était d’irréductibles gaulois que tout le monde prenait pour des fous. De plus, les vins n’étaient pas incroyables, ce qui a donné un mauvais souvenir du vin naturel à beaucoup de monde. Depuis les années 90 et 2000, on a vu émerger une génération qui a appris à travailler de manière moins punk, plus rigoureuse et qui connaît son métier. Cela n’a cessé de s’améliorer jusqu’à aujourd’hui.
On dit que chaque bouteille d’une même récolte peut être différente…
Cela peut arriver, mais c’est surtout la période (car sans sulfite, le vin continue de vivre) et le contexte dans lequel on l’ouvre qui influe. Le pression atmosphérique est différente lorsqu’on l’ouvre un jour de pluie ou en extérieur sous un grand soleil. C’est le jeu !
Je me fais l’avocat du diable, mais est-ce mauvais d’avoir un vin stable ?
Le risque est de toujours boire la même chose, comme le Coca-Cola, pour exagérer. Personnellement, je préfère un vin honnête avec parfois des imperfections qu’un produit manufacturé, exactement comme pour un concert de rock.
Certaines personnes n’apprécient pas le vin naturel pour son côté « gazeux », est-ce automatique ?
Chez nous, les vins n’ont pas de « défaut majeur », c’est-à-dire un défaut que l’on ne peut pas enlever. Malheureusement, les gens ont parfois eu de mauvaises expériences dans des bars ou des restaurants dans lesquels on leur a servi une bouteille non préparée à l’avance. Un éventuel côté pétillant ou une odeur d’écurie disparaissent si le vin est carafé. Et si tu n’as pas le temps, tu peux secouer la bouteille et la dégazer, ça marche très bien !
Certains amateurs de vin pensent que c’est une hérésie !
C’est de la connerie ! Si secouer une bouteille permet de ne pas boire de vin plein de produits chimiques, pourquoi pas ? Notre boulot est justement de conseiller la manière la plus adaptée de boire chaque bouteille.
Le vin en général a parfois une image élitiste, comment l’expliques-tu ?
Au départ, cela peut sembler impressionnant de rentrer dans une cave, sauf que le caviste n’est pas obligé de se comporter comme le sommelier d’un restaurant quatre étoiles ! Chez Maison Jaja, il y a une âme, un bar, de la bonne musique. On peut tout à fait accueillir chaleureusement un client sans lui faire sentir qu’il n’y connaît rien ! C’est notre boulot de savoir, pas le sien, il vient pour découvrir.
Le prix du vin naturel rebute-t-il aussi ?
Oui, à l’époque où je n’avais pas les moyens, cela m’a heurté de ne trouver aucune bonne bouteille de vin naturel en dessous de 15 euros dans une cave. J’essaye de casser cette image élitiste. Dans nos 500 références, les bouteilles vont de 8 euros à 300 euros et sont toutes bonnes.
Tu as donc goûté les 500 vins sans devenir alcoolique ?
Oui, car « cracher n’est pas tromper » (rires).
Les vignerons de vin naturel s’y retrouvent-ils ?
Leur travail est plus long, il faut de la main-d’œuvre, il y a plus de pertes, tout cela a un coût qui se retrouve dans le prix de la bouteille. Clairement, les vignerons naturels ne roulent pas sur l’or, surtout après une année catastrophique due à deux mois de gel intense et aux pluies du mois d’août (on parle de 90% de production perdue pour le Muscadet), ainsi que la pénurie de matières premières comme les bouteilles et les étiquettes entraînant en plus une hausse des prix. C’est un vrai métier de passion, pas une mine d’or.
Pourquoi les jeunes se tournent-ils plus facilement vers la bière que le vin ?
Le vin demande d’affiner son palais, d’apprendre les codes. On a tous commencé par boire de la mauvaise bière et ne chercher que l’ivresse. Le vin n’arrive souvent que plus tard, vers la trentaine, lorsqu’on se dirige vers la découverte. Chaque âge possède ses plaisirs, je ferai peut-être des soirées tricot à 70 ans (rires).
J’ai l’impression que le vin naturel reste encore un produit de niche, malgré la mode.
Le bio représente seulement 10% du vignoble total, le vin naturel à peine 3%. On en voit beaucoup en centre ville, mais 90% des gens n’en boivent pas. Mais oui, il y un intérêt croissant, un appétit pour les choses moins conventionnelles et une volonté de consommer de manière plus responsable.
Le vin nat’ s’exporte-t-il ?
Beaucoup ! Les premiers importateurs de vin naturel sont depuis longtemps les Japonais car ils ne supportent pas le souffre. La France est le premier producteur au monde de vin naturel.
Pour finir, le vin est-il un art ?
Ça l’est à partir du moment où l’on met son âme et sa délicatesse dedans, mais je préfère parler d’artisanat. D’ailleurs, les vignerons n’aiment pas être considérés comme des artistes, ils se voient comme des gens de la terre essayant de produire quelque chose de sensible. D’ailleurs, il faut arrêter de mettre le mot « Art » sur tout… même si certaines bouteilles sont des chefs-d’œuvre !
Interview réalisée par Pierre-François Caillaud
Maison Jaja, 14 bis Rue de Mayence, 44000 Nantes (entre la Cité des Congrès et la rue Fourré)
Ouvert du mardi au samedi de 10:00 à 23:00
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